mardi 31 mai 2016

Les dauphins








Mélusine aux pieds d'oie ( pédauque) d'Andlau 



Des  moulins bateaux s’envolent aux portes des rivières.
 

Il tourne dans leur miroir l’écaille des sirènes.
 

En conversant par le soir aux carapaces des fontaines,
 

Ils parlent lentement en découvreur du ciel.
 

Quelques histoires de lune 

ou de deux cents hommes plus tard,
 

ils attacheront une myriade de dauphins 

à la légende d’une pomme...



© - Astrid Shriqui Garain 


"Elhaz-"   rune de vie 



Bruges-La-Morte, Georges Rodenbach



Décidément
il était le bon génie de la cité, qui la révélait à elle-même,
lui mettait au jour d’occultes trésors, qu’elle ignorait.
    Georges Rodenbach, ... "Le Carillonneur"




« Ay Marieke ....Marieke je t'aimais tant 

Entre les tours de Bruges et Gand
 
Ay Marieke.... 

Marieke il y a longtemps ... »
 
                                             chante le Grand Jacques






« C’est tout là-bas, parmi le nord où tout est mort :

Des beffrois survivant dans l’air frileux du nord »

chante Grand Georges 

( Georges Rodenbach - poème, paysages de ville ( XIV) )


«  leçon de silence venue des canaux immobiles, à qui leur 

    calme vaut la présence de nobles cygnes »


Fernand Khnopff, Bruges, l'entrée du Béguinage - 1904




 «  J’ai voulu montrer combien par un seul trait, on pouvait 

évoquer tout un paysage, des côtes découpées, des récifs… 

Et ainsi toucher l’infini. » 

Fabienne Verdier 


 "Mater dolorosa d'après Simon Marmion " ,

 Fabienne Verdier




« Cela sent la mort, le Moyen-Age, Venise en noir, les 

spectres routiniers … cependant Bruges s’en va, elle aussi » 

Charles Baudelaire



les cloches tintent , 

les marbres portent, 

les mantes noires , 

la nuit coule et les âmes pleurent…


« Ay Marieke Marieke il y a longtemps ... »






«  il flotte une odeur de linge humide, de coiffes défraîchies à 

    la pluie,... »


« Ils peignent comme on prie »…



ils peignent la lumière ...à s'y méprendre.. 

L'illusion crée la profondeur.

Du pain béni. ... 





                               Les trois figures, Léon Spilliaert 
 

....Elles murmurent, 

elles espionnent, elles trottent , 

se signent , se faufilent. 

Les miroirs de Bruges ont leurs servantes. 

 


Bruges la froide, Bruges la morte…

étonnante création. 

Bruges ... « soror dolorosa » ... 

« pénétrations de l'âme et des choses », 

«  nous entrons en elles tandis qu'elles pénètrent en 

nous, »... Bruges, ...cette morte. 
 
« Toute cité est un état d'âme ». 


 F.  Khnopff 

Bruges la morte... , étrange roman, 

qui me fait découvrir une ville que je pensais... mais ignorais.


Bruges, les « Bruges », 

ville pleine, ville vide, ville ombre, ville flamme, ville chant, 

ville psaume, ville glas, ville tocsin, ville seule , ville pardon,

 ville songe, ville fantôme, ville refuge, ville dérive, ville phare.

Les Flandres se dressent, se reflètent, les Flandres 

regardent, scrutent, dominent.

Bruges , la Venise du Nord. Bruges l'espagnole, 

Bruges la catholique, Bruges l'étrange.., 

la mystique, la gardienne.



  Jan Van Eyck


« La ville est une sirène qui fait perdre la mémoire à celui qui 

la façonne afin qu'elle puisse conserver son âme. 

Architecture mnémonique.
 
Prend garde conquérant ! 

La ville peut te transformer en esclave.
 
La ville tient registre d'elle même. 

Par les signes qu'elle porte en elle elle offre un nouveau

 langage à l'homme. 

Signe de pouvoir, de servitude, de magnificence, 

de plaisir , de rêve.
 
Tout fait signe dans la ville. 

Celui qui a reçu la lecture des signes d'une ville , 

où qu'il se trouve tentera de retrouver ces signes n'importe 

où.

 C'est le langage de la ville qu'il l'occupe à présent, 

qu'il a à l'esprit. 

"Il ne sait plus voir dans un vol d'oiseau l'arrivée d'un orage

 mais à présent il reconnaîtra le visage d'un dieu dans

 l'écorce d'un arbre... » ainsi commentais-je 

les Villes Invisibles d'Italo Calvino.

L'empreinte qu'une ville nous laisse est elle plus marquante

que la forme que nous lui donnons ? …


Bruges , tout là bas, parmi le nord...

Bruges toujours muette , et de ce saint-sang coule en corps.









Astrid Shriqui Garain, lecture 






lundi 30 mai 2016

Je suis créole




     

         Sculpture de Kasper 
     "Inti"  Marbre noir de Belgique




à Edouard Glissant 
 
Je suis créole


Par la langue de fer qui ouvre la terre

par les possibles du voyage

par les prénoms qui ourlent notre peau 

par la fraternité d'un son , par le partage du cri


je suis créole 


Par cette langue de terre qui plonge dans la mer

par l'échancrure d'un fruit

par une cantine de rimes

par leurs papiers qui ne veulent rien dire

par notre sang au pied de leurs drapeaux

par l'écriture des chaînes

par le préau de l'enfance

par le souvenir de l'homme

par la mémoire d'une femme


je suis créole

par les ailes de nos fleuves

par l'agrume, par calice, et par la faille

par le rêve de chaque bateau

par la cale des usines

par les rotors

les hélices et par la mine

par l'escalier si haut

par la tourbe

par l'argile

Par nos bras

par notre rire,

par nos mômes

et nos cabas


je suis créole


Par cette langue qui ouvre sa gorge

par l'urgence du poème

par le partage de l' hiver

par la coulure

par la sève

par la lumière

par la vérité d'un regard

et dans la chaleur de la peau


je suis créole


Je suis

par cette multitude qui croît en l'Homme.




© Astrid Shriqui Garain  

Les orques de vair




Léon Spilliaert. " La Nuit" , 1908.



De quoi parlerions nous 
si ce n’est de cette monumentale errance ?
 

La monnaie de l’échange, 
c’est cette marche qui entraîne l’esprit 
là où le corps commence son combat.
 


Dans les vergers de la nuit, 
à chaque visage prochain, 
sur les lettres d’un fleuve, 
miser sans cesse son va tout au passage d’un renaître.

Là- bas, 

sous les toits, 
sur un pont, 
à la portière des trains,
pour quoi parlerions nous si nous étions seuls,
chacun loin de tous ,
à savoir l’inquiétude de ces pas ?





©  - Astrid Shriqui Garain 




La première heure







 © Images : Haruka Misawa





En l'espace d'un chant
les mots ont l'empreinte d'un soleil
venu se poser sur le regard du ciel. 


Le jour marche sur la branche,
fleurs et rêves commencent à travers toi

l'espace d'un jardin au bout de ses doigts

Toute la lumière commence là.




Astrid Shriqui Garain - ©





dimanche 29 mai 2016

Édouard Glissant : "vivre du tremblement du monde" .





 Édouard Glissant 

La pensée archipélique

Vivre du tremblement du monde


"La pensée du tremblement

Elle ne répond ni à la peur, ni au doute, ni à l’incertitude.
Elle résiste aux raidissements des pensées de système et aux emportements des systèmes de pensée.
Elle maintient tout système dans ses formes méthodologiques et le garde de verser dans des absolus.
Elle ouvre l’identité sur le rapport à l’Autre et sur le change qui provient alors de l’échange, sans que cette identité en soit perturbée ni dénaturée.
Elle est la pensée sismique du monde qui tremble en nous et autour de nous.
Elle en revient à ce passage, à ce suspens du jugement, et peut-être de l’Etre, que Montaigne a si génialement prétendus, comme à la fréquentation, non à la possession, de la terre, proposée par les pensées amérindiennes, comme à la fonction tellurique de la lignée des ancêtres, jamais close ni excluante, chantée par les peuples de l’Afrique des Griots. Les catastrophes frappent le monde, l’espoir vient aussi de partout. »(  traité du Tout-Monde, extrait)
« La pensée archipélique est une pensée du tremblement, qui ne s’élance pas d’une seule et impétueuse volée dans une seule et impérieuse direction, elle éclate sur tous les horizons, dans tous les sens, ce qui est l’argument topique du tremblement. Elle distrait et dérive les impositions des pensées de système.
Le Monde tremble, se créolise, c’est-à-dire se multiplie, mêlant ses forêts et ses mers, ses déserts et ses banquises, tous menacés, changeant et échangeant ses coutumes et ses cultures et ce qu’hier encore il appelait ses identités, pour une grande part massacrées. La pensée archipélique tremble de ce tremblement, bouleversée de ces crises géologiques, traversée de ces séismes humains, elle repose pourtant auprès des rivières qui enfin s’apaisent et des lunes qui languides s’attardent. Mais elle n’est pas, cette pensée, un seul emportement indistinct, ni une plongée sourde aux profondeurs, elle chemine selon des réseaux qui s’attirent et qui n’abandonnent aucun donné du monde loin du monde. Elle ouvre sur ce que Montaigne appelait « la forme entière de l’humaine condition », la forme, non pas l’Un, ni une essence, mais une Relation dans une Totalité.
Le tremblement est la qualité même de ce qui s’oppose à la brutale univoque raide pensée du moi hormis l’autre. Aurons-nous la hardiesse de rapprocher ces limailles, sans trop attendre de la compassion n’est souveraine que quand elle exige résolument et continûment la justice, la loi n’est juste que quand elle s’inspire sans limites de la pensée du Tout." 

Édouard Glissant
 Tropismes, France O, 2007, interview Laure Adler







Vidéo, 
Théâtre des Bouffes du Nord - 2007 - 








Sa douleur, dialogue de geste .



"Mamma Roma" ,  film de Pier Paolo Pasolini,  
Anna Magnani dans le rôle de Mamma Roma

         
 Dialogue de geste

 entre : 

" le pentaptyque 
  de l'Eglise de Sallertaine"  

de  Jacques Kerzanet, peintre

 et 
  
" Sa douleur ",  texte

d'Astrid Shriqui Garain, poète  


" Revêtir l’image

tel est bien l’enjeu de toute la création."
                                        Georges Didi-Huberman
" L’image ouverte, Motifs de l’incarnation dans les arts visuels", extrait.

 






"Sa douleur n’est rien. 

  Elle n’est rien encore.


Elle se voudrait dire néant.
  
Mais Néant est un mot.


 
      " Crucis "  de Jacques Kerzanet,
              acrylique 90x120cm.                                                              


...Sa douleur n’est pas le commencement 

du mot
 
une énigme ou un prétexte
 
l’usurpation d’un geste....


         

« Christus, descendens de cruce »

    de Jacques Kerzanet,  acrylique 90x120cm.    

 

La douleur n’est rien


Elle n’appelle et ne susurre que son cri
 

              Rien est douleur.
 

Rien que sa main qui se presse
 

et mon poing qui répond à l’ombre 

 

qui ne dit rien

 

...Rien, 

  l'ombre n’est rien qu'une douleur de la nuit
 

une trace de ce que la lumière a écrit
 

                  Ma douleur n'est 

                                                       rien
 

que ce que mon poing arrache
 

au papier dépeint de son cri...



      
 
         « descensum ad corpus »
           de Jacques Kerzanet,  acrylique 90x120cm


Rien est sans douleur.
Un morceau d’écorce qui tombe profondément de la nuit.
Et le néant n’est qu’un mot que dessine des ombres
qui font entendre au cœur de la vie sa douleur qui pousse son cri de la nuit




La douleur n’est plus 

                         rien.





 « cum corpus moritur »
  de Jacques Kerzanet,  acrylique 90x120cm



L’ombre d’un geste lui arrache 

le visage 

              des mots." 

© - Astrid Shriqui Garain - 09/2015







                          « Christus mendacii"


  de Jacques Kerzanet,  acrylique 80x120cm