" le bouc émissaire" , photographie Astrid Shriqui Garain
Oui,
J’avais toute ma tête et mes deux mains.
…pour ça.
pour désigner des boucs et des sorcières
pour briser des vitrines
pour marcher au pas de l’oie
Pour voter au nom de ma propre loi
pour penser à l’oblique de mon bras
Pour dresser des bûchers
pour jeter dans leurs gueules des livres.
des milliers de livres ?….
Que je ne connaissais même pas.
J’avais toute ma tête et mes deux mains
…pour ça
pour marquer des hommes comme des bêtes
pour leur faire baisser la tête
les faire plier, les humilier,
pour les chasser de leurs parcs, de leurs écoles,
de leurs usines, de leur rue, de leur ville, de leur pays,
Les traquer, les faire fuir.
Pour qu’ils se terrent et se cachent
pour leur mentir les dénoncer et les trahir
et quand il le fallait surtout…
au bas d’une lettre, ne rien en dire.
Oui
J’avais toute ma tête et mes deux mains
…pour ça
pour me donner des titres
pour me couvrir de galons
pour bien armer mon béton
pour faire tourner mes usines
pour vendre l’acier à mes canons
pour voler des malles et des valises,
pour arracher des dents et des alliances
les transformer en or et cacher tout mon trésor.
pour penser et planifier des enfers
pour lâcher et nourrir mes chiens
pour trier des familles,
les séparer jusque dans les cendres
pour inviter l’horreur dans ma chambre
pour donner la nausée à toute la terre
pour jeter des corps dans la fournaise
Des corps ?
Des millions de corps….
Que je ne connaissais même pas
Oui
J’avais toute ma tête
et mes deux mains
….pour ça
pour défiler au son de ma musique
pour rédiger des listes noires
pour ficher tous mes victimes
pour filmer, afficher, imprimer, dessiner,
enseigner, censurer, dénoncer,
et justifier tous mes crimes.
pour torturer, déchiqueter,
dépecer, affamer, fusiller.
Violer, éventrer et piller.
Exterminer,
rayer…, effacer.
jusqu’à même tout nier.
Oui
J’avais toute ma tête
et mes deux mains
…pour ça.
Je n’étais ni un diable, ni un dieu,
j’étais un homme comme toi.
Toi qui vois mes mains et regarde ma tête.
Toi qui plaques tes mains contre ta tête
et qui hurle, hurle sans voix.
Dis toi que s’il te reste aujourd’hui
encore des mains et une tête
pour ne jamais oublier ça
C’est que beaucoup de mains et de têtes
elles, ont tout fait pour combattre ça.
Alors,
regarde moi !
Une tête comme la mienne
ça ne s’oublie pas.
Regarde toi,
Une tête comme la tienne
devrait toujours penser à ça
Et ne jamais rester sans voix.
Astrid Shriqui Garain -
Lecture publique réalisée par l’auteure le 26 juillet 2014 dans le cadre du salon littéraire organisé par L’association Lumières de Jade au café de l’Isle, à Bouin (85).
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