jeudi 28 mars 2013

La balance de Penrose

 

 

 

Pierre de lest de L'Aimable Grenot (1749), recouvertes d'organismes marins.

Teddy Seguin (Adramar) © MCC / DRASSM 

 

 Pour mesurer le poids qu’il convient de donner à leur vie, les hommes ont eu         l l'étrange idée d’inventer une balance sur laquelle ils déposent certains poids.


La masse de leur vie, ainsi déposée sur ce plateau, ne s’exprime pas en gramme, ni en kilo,. Non ce système maléfique leur indique un taux qu’ils ont appelé : Réussite, nom qu’il donnèrent également à un jeu de cartes, afin certainement d’exorciser le mauvais sort dont ils bénissent parfois leurs coups.


Ils portent la valeur de ce taux sur un grand registre dont personne d’ailleurs, après eux, n’en fera de lecture.
C’est un taux qui relève uniquement du quant à soi.
Ce taux donne toute sa valeur à une vie toute bien pesée, mais il n’existe que pour celui qui l’inscrira sur le registre….

Il se déclare et se compare, mais ne se partage pas.
 

La question n’est pas de savoir pourquoi cette balance fut inventée.
Nous dirons qu’elle fut conçue pour faire contre poids à divers angoisses qui naissent dès la naissance dans un cerveau, très simplement,... humain.


Il faut calmer le doute, la peur, rabaisser sa supposée médiocrité face à celle de son prochain.  

Il faut caresser son ego à contre sens de la lame pour être sûr et certain que tout ce qui sera donné à la vie justifiera ce que la vie donnera.. et vices et rien que vers soi.
L’équité réclame l’équilibre.
C’est sans doute également par soucis de sa propre justice que l’homme forgea cette balance dans son cerveau grouillant d’humanité .
L’homme doit se rende justice… 

Le jugement s’échappe de l’humain, sinon il resterait prisonnier de sa raison.
La réussite doit loger dans son écrin : un bonheur de satin. La possession d’un tel joyau fait naître les envieux, à le tenir si fort entre ses mains, l’homme parfois en devient très vilain. 

La réussite enlaidit parfois l’homo sapiens et écrase de toute sa place souvent ceux qui croisent gentiment son chemin.
 

Mais examinons ces poids qu’il dépose avec impatience à chaque instant sur son plateau.
Quelle est la masse de sa vie ? Quel est ce taux qu’il nommera gloire, exploit, grande conquête…. dans le meilleur des cas, ou bien… échec, banqueroute… dans bien des cas.
Car il n’y a pas de demi mesure concernant cette chose là.
Il faut qu’elle soit totale. Pas d’autre choix.
Les poids sont à la mesure des hommes, juste à leur portée.
Ils ne dépassent jamais leur envergure.
 

Chacun ses poids. Chacun son taux. Chacun sa vie …et tout vient peut être de là.
 

Dans ce plateau, ils y mettront de tout et parfois de vraiment n’importe quoi.
Qui de l’or, qui des médailles, qui des hourras, qui des territoires, des orgues, des titres, une lignée, des fortunes, des palais, un nom gravé sur plaque ou un pavé, peut être un peu d’autorité, du respect, une certaine élégance, de la puissance, de la hargne, des idées…mais ces dernières sont parfois un peu dangereuses.  dangereux. Il faudrait parfois savoir y renoncer. Mauvaises et donc fausses, elles abrègent très vite nombre d’éternités.


Ils sont peu nombreux ceux qui arrivent à stabiliser la balance.
Si peu, que pour finir, on n'en connaît aucun.
Il n’est pas facile de comprendre que le déséquilibre provient de son propre poids.


Lorsque ta vie est sur la balance , ami, elle a déjà le poids qu’elle a.
Et tous tes poids n’y feront rien.


Alors ils pèsent…., le pour, le contre, le moins et le mieux, le sans doute et l’environ. 

Ils perdent leur temps pendant que leur vie sur ce plateau perd… 

et de son goût et… de ce qui fait tout son poids.
 

C’est une balance de Penrose dessinée par Escher.
 

Le maléfice réside là : à bien peser ta vie, tu ne bouges pas.
 

Quel imbécile peut il inscrire sur son registre que sa vie fut réussie ?
Qu’ elle le fut ou pas, quel intérêt ce joli taux rapportera ? Que feras tu de cette monnaie lorsque tu n’auras plus la force de chanter sur ta route?
 

Alors pour donner à sa vie non pas un prix ou quelque taux, mais juste le plaisir que vous deviez lui offrir, il convient de ne jamais la peser, mais de l'aimer.
 

Emplissez là de choses qui ne feront jamais le poids à la caisse des boutiquiers : un regard sans remord, un baiser sans regret, les pavés de l’été, des premières fois, des cris, beaucoup de rires, un peu de larmes, et des bras, des épaules, des sourires, de la sueur, des murmures, du souffle, de l’attente, des courses, des derniers trains, de très beaux matins, des inutiles, des futiles, des magiques, des terribles, et toutes ces tonnes de choses imbéciles auxquelles on tient.


A si bien aimer toutes ces choses, ami, la vie, va.. elle te suivra !
Mieux que ton ombre, elle sera devant toi !
Peu importe le poids qu’elle aura, elle te remplira bien les bras.
Le registre ? laisse le  à ceux qui ne savent que compter sur leurs doigts et cela de tout leur poids.

 

Astrid Shriqui Garain , "la balance de Pensrose",  03.2013

lundi 25 mars 2013

De vos raisons

 

 Léonard de Vinci, Codex, extrait. 

 

Je ne me ferai pas une raison.
M’en faire une serait vous la donner.
Alors je vivrai sans raison,
Avec juste la vérité de ma passion.

La raison ça décore les salons
La raison ça se fabrique dans l’usine des poisons.

Moi je n'ai pas de raison.
Je n’en veux pas.
Mes pieds et moi nous marchons,
sans raison,
depuis la première saison.

La raison, ça pèse lourd.
Elle vous entraîne par le fond
en s’accrochant aux faux plafonds.

Ni de fausses, ni de bonnes,
des raisons ?
Je n’en fabriquerai pas.

Vous en avez déjà plein vos miroirs,
Alors, ne m’en donnez pas.
Gardez les vôtres pour vos salons.

Même en tendant mes ailes,
 je ne les entendrai pas.

C’est en rime et sans raison
que je vole seule, toujours,
Si loin de vos salons.

 

 Astrid Shriqui Garain, "de vos raisons", mars 2013 


samedi 23 mars 2013

Le conseil de la Nuit

 

 

" Attributs des arts," 1769, d'Anne  Vallayer-Coster

  

Lorsque la nuit tiendra conseil sous le grand Dôme,
je ne viendrai pas.
Des affaires plus urgentes me retiennent.
J’espère, qu’elle m’excusera.
Je la laisserai s’étendre sur ses vastes sujets.
Je sais le plaisir qu’elle retire de son encre à tremper
la complainte des journaliers.
Lorsque la nuit apparaîtra dans sa bure fantôme
et ouvrira le registre
que le Temps déposera dans ses bras,
je ne viendrai pas.
Je n’aime pas les conseils,
puisqu’il ne m’aident pas.
J’ai affaire à d’autres débats.
J’ai message d’adieu qu'il me faut rédiger.
Et ,cela avant que le jour ne se montre las.
Même si la nuit de m’excuse pas,
Il faut que je m’y rende,
au nom de ce que ce que je ne deviendrai pas.
La nuit a sans doute ses lois, ses coutumes de soie,
Moi, je tiendrai parole auprès de celui
qui me confiera la force de son combat.
C’est un lieu où se murmure chacun de nos pas.
Il faut entendre les regards, et deviner les absences.
C’est un lieu sans lumière et sans ombre,
Notre présence n’y survivrait pas.
Lorsque la nuit lèvera son bras, marquant la fin de son conseil,
et qu’elle reprendra haleine dans la gorge des faubourgs,
Je serai loin, déjà.
Entre mes mains se tiendra le repos de certains mots.

En mémoire de leur chant
je ne m’oublierai pas.

J’aurai tenu ma promesse à cette adresse,
et brandi mon amour comme un flambeau
au chevet de celui, qui n’a plus affaire de conseil,
puisque son retour ne viendra jamais nous tenir de propos.
Alors, absente de la grande table de la Nuit,
sous la tente grande ouverte du Soleil,
quittant ma détresse,
je viendrai te porter ce conseil :

Si tu invites tes nuits à la tendresse,
Il se pourrait qu’elles te rendent un jour très beau.


Astrid Shriqui Garain, 03.2013 



Le verger de mon esprit

 

 

 "Monna Vanna", la Joconde nue...

  de Gian Giacomo Caprotti dit Salai...1515-1525... ?

 

Entre ma chair et mon âme réside mon esprit.
En cet espace se loge la racine de mon être.
Du fruit de l’ amour à l’amour de la chair
Mes vers, mis en chaire, s'élèvent à l’envers des cieux.


Mon cher amour cherche l’amour de sa chair
dans l’étrange et profond miroir de ses yeux.


Dans la noire de mon ventre s’élancent mille pieux.

L’esprit se détache de ma chair et perce mon âme.
Repose ici la semence d’un fruit au goût silencieux.
Ma bouche mise en bière aspire d’autre lieu.
Le cœur lèche sur la lame la sève pourpre d'un rameau.
 

En la mémoire de mon être.
A ce flambeau, l’esprit jette l' âme et la chair
et renvoie à la force des cieux
cette rage de ne pouvoir se savoir être
encore un peu, même mal, et si peu. 


"Le verger de mon esprit", Astrid Shriqui Garain. 2013 

 


La nuit étoilée

 

 La nuit étoilée , Vincent Van Gogh , 1889

 

 

Émettre la fréquence de nos passages,
Lancer nos messages dans l’espace,
Capter les bruits du monde pour lui remettre sa lecture,
Pouvoir donner réponse au silence des ondes.

Traverser le mur du son provoque le souffle des questions
et nous livre l’urgence de nos missions.

"Transmission",  mars 2013 , 

Astrid Shriqui Garain

 

 

"Timbres, espace, mouvement",  d'Henri Dutilleux

vendredi 22 mars 2013

LE PAS DU CYCLOPE

 

 


 

"L'allée des géants", photographie de Catherine Minala 

 

La ligne des arbres
triangle nos routes

La courbe en regard
tréfonds de mémoire

Lumière en certain soir
sphère l’horizon

L’esprit de nos brumes
puits de nos sons

L’instant dérègle
parfois notre vision.

 


L’arbre courbe sa mémoire
pour porter l’instant de sa vision
sur la ligne blanche de la raison.
Il sonne dans la brume du soir
son parfum lourd à l’horizon.

 

Astrid Shriqui Garain 

 

Extrait du recueil « Ynys Avallach »,
Les éditions du Littéraire – La bibliothèque de Babel
juin 2014 – ISBN-13 : 978-2919318223