mercredi 16 mars 2011

En qui je vis

 

Flamme en femme
Promesse de braise
Quittant la glaise
Force de louve
Au regard d’acier
Qui se donne à vivre
Aux accords du monde
Aux portes du destin
Aux traces du silence
Au murmure du temps
Transe et danse ,qui s’élance

 

Femme de l’attente et du retour
Maîtresse de l’autan
Femme d’écume et de la brume,
De l’encens et de la dune.
Femme de jade et de la nacre,
Femme des sources
Femme berceau.

 

Mais femme en flamme
Pour recouvrir de cendre
Les terres de son ventre
Pour renier l’évidence
L’éther de sa chair
Pour mutiler son âme
Émasculer ses entrailles
Plaine labourée
Bannie, honnie
Pillée, brisée, ravagée,
Possédée, emmurée,
Femme de larme.
Bétail au cœur des batailles
Femme du dernier cri
Femme alibi ou à l’envie
Des carreaux des mines
Aux portes des usines
Sa vie se réduit

 

Mais flamme en femme
Qui déchire le voile
Ventre qui palpite
Lumière entre ses mains
Force et rage dans ses reins
Ceinte de la vague de ses seins
Femme de l’âtre et du sarment
Aux volutes cambrées
Au souffle apaisant
Aux odeurs du monde
Âme des steppes, et du névé

 

Prêtresse au cœur de d’aubier
Femme du murmure et du secret
Femme saline, femme de Lune.
Femme miel et de cannelle
Femme pardon, femme ballon.

 

Mais femme en flamme
Dans un buisson ardent
Femme gibier du pénitent
Femme fardeau, femme fagot
Enchaînée, battée, sanglée.
Femme du drap
Femme coupée, cloîtrée
Fendue, cachée
Maudite et répudiée
Domestiquée, décervelée
Marquée du sceau de l’infamie
Rejetée des autels pour son sang
Impure et triste soumise
Esclave aux milles tribus
Des hauteurs de l’Oural
Au golfe du Bengale
Sa peine est éperdue.

 

Mais flamme en femme
Aux racines immortelles
Au tendre silence
Animal survivant
Sauvage, tendre et haletant
Au ventre mouvant
Au cœur des vents
Gardienne des pierres
Nomade du mystère
Flamboyante, rugissante
Abondante, indulgente
Tendre et caressante
Vrille de la vie qui bénit chaque pluie.
Flanc qui frémit lorsque vient la nuit.

 

Mais femme en flamme
Bâillonnée , enchainée
Oubliée, sacrifiée
Verroterie de cabaret
Outragée, grimée,
Poupée cousue,mille fois vendue,
Mille fois bradée, soldée, démarquée
Travestie, fardée, échangée
Consommée, numérisée
Mise en joue et puis en cage
Corps en grillage
Les yeux en soupirail
L’espoir en cave.
Femme carmel, femme chamelle
Du devoir et du non sens
Déformée, distendue, battue
Accusée, lapidée,
Femme partie en fumée.
Affichée, décollée, déchirée.
Femme plastique, lisse et clonée
Du trottoir au caniveau
Du harem ou de Harlem
Sa chair n’est que lambeau.

 

Mais flamme en femme
Femme brasier,
Femme fontaine,
Femme souterraine,
Femme du galbe et de la courbe,
Femme ronde et pleine,
Femme du soupir et du désir,
Femme folie et du plaisir,
Difficile et insoumise,
Femme repère,
Femme tempête,
Femme tanière,
Femme du don et du germe,
Femme du verbe et de mes rêves,
A la sève troublante,
Aux gestes lents,
Femme compas, femme fanal
Femme bourgeon ou fille de Sion.

 

Mais femme en flamme
Succube échevelée
Vouivre de la tourbe
Femme du souffre et du pêché
Femme fenêtre, moucharabieh
Femme linceul,
Femme bûcher
Femme du deuil
Sous des verrous d’acier,
Calibrée, encliquetée,
Vitriolée, violée, bitumée,
Femme défoncée,
Tenue en respect.
Des temples de Petra
Aux caves de Bondy
L’enfer est infini.

 

Mais flamme en femme
Roseau d’éternité
Gardienne des délices
Grain d’or et de vermeille
Femme de l’ambre et de la perle
Femme des mots et des merveilles
Femme fière et mère guerrière
Femme de l’argile et du safran
Femme d’osier et de l’argan
Femme grenier, femme panier
Promesse de l’aube
Récit de toutes nos vies
Femme mémoire, femme défi
En espérance quand vient la nuit
En qui rien ne se tarit.

 

Femme en qui je vis.

 

Astrid Shriqui Garain - mars 2011-

 

Extrait du recueil « Ynys Avallach »,
Les éditions du Littéraire – La bibliothèque de Babel
juin 2014 – ISBN-13 : 978-2919318223

Texte paru dans l’anthologie de la poésie humaniste, « LES AMIS DE THALIE », 1er trimestre 2015
« LA POESIE POUR ETENDARD » Tome 15, année 2015
ISSN 1274-3240

Les bignoles de l'info

 


Tunnel d’espace temps – 2004 de Wang Du. 


Des infos chocs,
Des photos glauques,
Des mots qui frappent,
Des idées claques !
Des unes sans les autres,
Et tous les autres à la une.
Papier journal
Infos canal
Radio scories
Des mots clavier
Cocotes papier glacé
Très Informés
Très Alertés
Jamais instruits
Déconcertés !
Nous sommes les belles bignoles de l’info,
Concierges de la terreur qui vient d’ailleurs,
Vaguemestre de toutes nos peurs.
Infos rafales
Papier d’alarme
Radio corbeau
Des mots gratuits
Au net invendu.
Très au courant !
Très révoltés !
Pas concernés…
Trop débordés.
Les nouvelles s’échangent
Les drames se troquent
Et puis des fois on les déforme.
Et puis souvent on les oublie.
On se chuchote mille morts,
On en déduit, on se prédit,
On tremble de si loin….
On en frémit peut être pour rien.
Très Informés
Très Alertés
Jamais instruits
Très soulagés
On est, ma foi, si bien !
On aboie avec les chiens !
On prend l’info
Subito.
Bel écho !
Rapido,
Quel soulagement !
Dans le journal ?
Nous n’y sommes pas!
Nous voilà très rassurés.
Là bas, au loin, ça gronde ?…
Mais pourquoi ne pas devenir blonde ?…
Les pourquoi on n’en veut pas !
Les après sont périmés.
Mais y a quand même un truc
Qu’il faut bien vérifier :
On cherche son nom parmi
la liste des disparus, des pas vernis
Des loquedus, et des vaincus.
Non ! Tout va très bien :
Ce matin, mon nom est inconnu !
Quel soulagement !
Je n’y suis pas !
La bignole est dans sa loge
« Merci de bien vouloir vous annoncer !
Ici on a le gaz à tous les étages !
Parait qu’au sud ça déménage !
Parait qu’à l’est ça enrage,
Parait qu’au nord y a du chômage,
Parait qu’à l’ouest ça encage.
Et puis Paris va à la plage…
Et puis les soldes c’est à la page.
Tirez la porte s’il vous plaît.
Pensez à la lumière dans l’escalier. »
Très Informés
Très Alertés
Jamais instruits
Très soulagés
Des infos chocs,
Des photos glauques
Des mots qui frappent
Des idées claques
Des unes sans les autres
Et tous les autres à la une.
Alors aux premières loges,
Tu vas encore t’en griller une.
« Essuyez vous bien les pieds !
Dehors… çà va rincer !
Il faut se tenir bien informé
Pour ne pas avoir les pieds mouillés ! »

Astrid Shriqui Garain, mars 2011 

 

On remplit tout

 


"Each Line One Breath "de John Franzen

 

On remplit tout.
Tant de rien pour si peu.
Nos agendas et nos grandes poches,
Nos silences et les absences.


Les hommes ont peur du Vide
Mais la Nature, elle… ça lui convient.


Souvenirs en mémoire
Mille photos myopie
Offertes à d’innombrables faux amis


On remplit tout.


Tout ce qui risquerait de faire écho,
Ce qui laisserait au hasard le rôle de maestro.
On bourre les sacs et les cabas,
Peu importe le poids.
Accusés de réception
Aliénés sous caution


Les hommes craignent le Vide
Mais la Nature elle.. en a besoin.


Alors on parle à tordre la raison
Alors on vit trop vite et à travers
On remplit tout,
Les rides et les penderies,
Nos bas de peine, jusqu’à l’auge du chat.
On échange tant de biens pour trop de Mal.
On décharge nos vies pour recharger nos batteries.
Tant de réserves et si peu d’hivers…
Si peu de Souffle pour une si grande traversée.


Les hommes méprisent le Vide,
Mais la Nature elle… n’oublie jamais de respirer.

 

Astrid Shriqui Garain , mars 2011

 

175 pas

 

175 pas
Et la lumière s’éteindra.
De toi à moi
Et la nuit reviendra.
De moi sans toi,
Que revienne le monde d’en bas

 

Je sais déjà toutes les ombres,
et j’en connais toutes leurs odeurs,
Leur moiteur, leurs mensonges, et leurs rires,
Leurs gestes restreints et leurs mots trop simples
Mais je me vois enfin maître de leurs terreurs
Depuis que je sais , à présent,la lumière.
Maintenant invincible, et à jamais hors ma place,
Que m’importe leur murmures et leur cris!
Que m’importe les dédales et les puits!
Que m’emporte ces évidentes ténèbres!
Je peux sans crainte embrasser leurs masques en plein face
Et m’écorcher contre leurs mille humides parois de suie.

 

J’ai vu la lumière et j’emporte tout avec moi.
Un éphémère éclair m’a offert mon éternel enfer.
Délicieuse brûlure témoin d’un impromptu transfuge

 

175 pas
Et la lumière s’éteindra
Je ne redouterai plus le froid .
Je n’avais vraiment que toi
Et c’est à eux que je me livre sans effroi

Ils me reconnaîtront, me fêteront
Ils sauront mes silences
Et m’accompagneront.
A défaut de me garder en vie
J’y perdrai toute raison.

 

175 pas
Et la lumière s’éteindra
175 pas…
J’y suis déjà.

 

En l’ultime nuit de ce temps
Sache que de te savoir hors d’ici
Ne me fera plus craindre le pire.
175 pas….
Au premier matin de ton temps
Ne m’oublie pas.

 

       Astrid Shriqui Garain . 

 

SKAÏ

 

Et attend l’heure qui viendra.
A la femme emplumée il crache sa fumée,
et réanime le serveur aux gestes éculés.
Odeurs de cendres, et de papier,
Cri du skaï, et battement du chambranle.
Vers le fond de la salle, voilà l’heure qui s’avance.
La ville ose bien entrer, mais elle se met à murmurer.
La ville ralentit, s’assoit, se laisse aller.
Elle se tait, dépose ses banalités sur la banquette d’à côté.
Trois carreaux noirs pour deux carreaux blancs.
Voilà un sol qui mériterait d’être écouté.
Le cendrier jaune est plein de secondes en danger.
Au fond dans la salle il ne nous reste plus qu’à espérer.
Et puis laissons cette heure tapiner à la vapeur.
Le compteur tourne et s’emballe au carrefour des étoiles.
La ville est trempée de son espoir à ses pieds.
Il jette toute sa monnaie,
La maison ne fait plus crédit.
Les nues lui font pitié.
Il s’extirpe des ressorts de la banquette mordorée,
recule jusqu’à la porte ,
et pousse une affiche d’une expo en chantier.
Il lui faudra traverser le boulevard.
Les mouettes se regroupent pour danser.
Alors le long du canal il évitera de se noyer.
Un bal perdu est si vite arrivé.
Il siffle la prochaine heure qui se déhanche
sur le pont de la péniche d’un hollandais.
Il lui jette des carrés de pensées.
La fluviale est en cale sèche,
et alors ?.. ça lui fera les pieds.
Le soleil, lui , installe son chevalet.
La ville racole sur les quais.
Il s’étire et s’installe pour rêver…
Sur les îles Wadden, le ciel n’arrête pas de chialer,
mais au fond de la salle, il y a deux bières et trois baisers.
Ébouriffés, ils s’amusent à se dessiner.
Au fond de la salle, ils ne voient pas les heures passer.
Il sourit.
La ville se retire sur la pointe des pieds , ses godasses à la main,
Une journée de turbin ça donne envie d’aller se rhabiller.
Il dort.
Bah! Le soleil rentrera en tramway.
Et si demain, le temps le permet, il reviendra peindre sur les quais
Au fond de la salle, seul et bien las,
Au fond de la salle, il boit comme il se noie,
Et attend l’heure qui viendra.
A la femme emplumée il crache sa fumée,
et réanime le serveur aux gestes éculés.
Odeurs de cendres, et de papier,
Cri du skaï, et battement du chambranle.
Vers le fond de la salle, voilà l’heure qui s’avance.
La ville ose bien entrer, mais elle se met à murmurer.
La ville ralentit, s’assoit, se laisse aller.
Elle se tait, dépose ses banalités sur la banquette d’à côté.
Trois carreaux noirs pour deux carreaux blancs.
Voilà un sol qui mériterait d’être écouté.
Le cendrier jaune est plein de secondes en danger.
Au fond dans la salle il ne nous reste plus qu’à espérer.
Et puis laissons cette heure tapiner à la vapeur.
Le compteur tourne et s’emballe au carrefour des étoiles.
La ville est trempée de son espoir à ses pieds.
Il jette toute sa monnaie,
La maison ne fait plus crédit.
Les nues lui font pitié.
Il s’extirpe des ressorts de la banquette mordorée,
recule jusqu’à la porte ,
et pousse une affiche d’une expo en chantier.
Il lui faudra traverser le boulevard.
Les mouettes se regroupent pour danser.
Alors le long du canal il évitera de se noyer.
Un bal perdu est si vite arrivé.
Il siffle la prochaine heure qui se déhanche
sur le pont de la péniche d’un hollandais.
Il lui jette des carrés de pensées.
La fluviale est en cale sèche,
et alors ?.. ça lui fera les pieds.
Le soleil, lui , installe son chevalet.
La ville racole sur les quais.
Il s’étire et s’installe pour rêver…
Sur les îles Wadden, le ciel n’arrête pas de chialer,
mais au fond de la salle, il y a deux bières et trois baisers.
Ébouriffés, ils s’amusent à se dessiner.
Au fond de la salle, ils ne voient pas les heures passer.
Il sourit.
La ville se retire sur la pointe des pieds , ses godasses à la main,
Une journée de turbin ça donne envie d’aller se rhabiller.
Il dort.
Bah! Le soleil rentrera en tramway.
Et si demain, le temps le permet, il reviendra peindre sur les quais
Au fond de la salle, seul et bien las,
Au fond de la salle, il boit comme il se noie,
Et attend l’heure qui viendra.
A la femme emplumée il crache sa fumée,
et réanime le serveur aux gestes éculés.
Odeurs de cendres, et de papier,
Cri du skaï, et battement du chambranle.
Vers le fond de la salle, voilà l’heure qui s’avance.
La ville ose bien entrer, mais elle se met à murmurer.
La ville ralentit, s’assoit, se laisse aller.
Elle se tait, dépose ses banalités sur la banquette d’à côté.
Trois carreaux noirs pour deux carreaux blancs.
Voilà un sol qui mériterait d’être écouté.
Le cendrier jaune est plein de secondes en danger.
Au fond dans la salle il ne nous reste plus qu’à espérer.
Et puis laissons cette heure tapiner à la vapeur.
Le compteur tourne et s’emballe au carrefour des étoiles.
La ville est trempée de son espoir à ses pieds.
Il jette toute sa monnaie,
La maison ne fait plus crédit.
Les nues lui font pitié.
Il s’extirpe des ressorts de la banquette mordorée,
recule jusqu’à la porte ,
et pousse une affiche d’une expo en chantier.
Il lui faudra traverser le boulevard.
Les mouettes se regroupent pour danser.
Alors le long du canal il évitera de se noyer.
Un bal perdu est si vite arrivé.
Il siffle la prochaine heure qui se déhanche
sur le pont de la péniche d’un hollandais.
Il lui jette des carrés de pensées.
La fluviale est en cale sèche,
et alors ?.. ça lui fera les pieds.
Le soleil, lui , installe son chevalet.
La ville racole sur les quais.
Il s’étire et s’installe pour rêver…
Sur les îles Wadden, le ciel n’arrête pas de chialer,
mais au fond de la salle, il y a deux bières et trois baisers.
Ébouriffés, ils s’amusent à se dessiner.
Au fond de la salle, ils ne voient pas les heures passer.
Il sourit.
La ville se retire sur la pointe des pieds , ses godasses à la main,
Une journée de turbin ça donne envie d’aller se rhabiller.
Il dort.
Bah! Le soleil rentrera en tramway.
Et si demain, le temps le permet, il reviendra peindre sur les quais

Au fond de la salle, seul et bien las,
Au fond de la salle, il boit comme il se noie,
Et attend l’heure qui viendra.
A la femme emplumée il crache sa fumée,
Et réanime le serveur aux gestes éculés.
Odeurs de cendres, et de papier,
Cri du skaï, et battement du chambranle.

Vers le fond de la salle, voilà l’heure qui s’avance.
La ville ose bien entrer, mais elle se met à murmurer.
La ville ralentit, s’assoit, se laisse aller.
Alors, elle se tait, dépose ses banalités sur la banquette d’à côté.
Trois carreaux noirs pour deux carreaux blancs.
Voilà un sol qui mériterait d’être écouté.
Le cendrier jaune est plein de secondes en danger,

Au fond dans la salle il ne nous reste plus qu’à espérer.
Et puis laissons cette heure tapiner à la vapeur.
Le compteur tourne et s’emballe place de l ‘Étoile.

La ville est trempée de son espoir à ses pieds.
Il jette toute sa monnaie,
La maison ne fait plus crédit
Il est des nues qui font pitié.

Il s’extirpe des ressorts de la banquette mordorée,
Recule jusqu’à la porte ,
Et pousse une affiche d’une expo en chantier.
Il lui faudra traverser le boulevard.
Les mouettes se regroupent pour danser.
Alors le long du canal il évitera de se noyer,
Un bal perdu est si vite arrivé.

Il siffle la prochaine heure qui se déhanche
sur le pont de la péniche d’un hollandais.
Il lui jette des carrés de pensées
La fluviale est en cale sèche,
Et alors ?.. ça lui fera les pieds.
Le soleil, lui , installe son chevalet.
La ville racole sur les quais.

Il s’étire et s’installe pour rêver…

Sur les îles Wadden, le ciel n’arrête pas de chialer,
Mais au fond de la salle, il y a deux bières et trois baisers.
Ébouriffés, ils s’amusent à se dessiner.
Au fond de la salle, ils ne voient pas les heures passer.
Il sourit.
La ville se retire sur la pointe des pieds , ses godasses à la main,
Une journée de turbin ça donne envie d’aller se rhabiller.
Il dort.
Bah! Le soleil rentrera en tramway.
Demain si le temps le permet, il reviendra peindre sur les quais.

Texte publié dans la revue de poésie « CE QUI RESTE » le 23 mars 2015
cequireste.fr

Au fond de la salle, seul et bien las,
Au fond de la salle, il boit comme il se noie,
Et attend l’heure qui viendra.
A la femme emplumée il crache sa fumée,
et réanime le serveur aux gestes éculés.
Odeurs de cendres, et de papier,
Cri du skaï, et battement du chambranle.
Vers le fond de la salle, voilà l’heure qui s’avance.
La ville ose bien entrer, mais elle se met à murmurer.
La ville ralentit, s’assoit, se laisse aller.
Elle se tait, dépose ses banalités sur la banquette d’à côté.
Trois carreaux noirs pour deux carreaux blancs.
Voilà un sol qui mériterait d’être écouté.
Le cendrier jaune est plein de secondes en danger.
Au fond dans la salle il ne nous reste plus qu’à espérer.
Et puis laissons cette heure tapiner à la vapeur.
Le compteur tourne et s’emballe au carrefour des étoiles.
La ville est trempée de son espoir à ses pieds.
Il jette toute sa monnaie,
La maison ne fait plus crédit.
Les nues lui font pitié.
Il s’extirpe des ressorts de la banquette mordorée,
recule jusqu’à la porte ,
et pousse une affiche d’une expo en chantier.
Il lui faudra traverser le boulevard.
Les mouettes se regroupent pour danser.
Alors le long du canal il évitera de se noyer.
Un bal perdu est si vite arrivé.
Il siffle la prochaine heure qui se déhanche
sur le pont de la péniche d’un hollandais.
Il lui jette des carrés de pensées.
La fluviale est en cale sèche,
et alors ?.. ça lui fera les pieds.
Le soleil, lui , installe son chevalet.
La ville racole sur les quais.
Il s’étire et s’installe pour rêver…
Sur les îles Wadden, le ciel n’arrête pas de chialer,
mais au fond de la salle, il y a deux bières et trois baisers.
Ébouriffés, ils s’amusent à se dessiner.
Au fond de la salle, ils ne voient pas les heures passer.
Il sourit.
La ville se retire sur la pointe des pieds , ses godasses à la main,
Une journée de turbin ça donne envie d’aller se rhabiller.
Il dort.
Bah! Le soleil rentrera en tramway.
Et si demain, le temps le permet, il reviendra peindre sur les quais

L'amer

 


J’ai pris la mer,
Traversé le désert
Effleuré la montagne,
Caressé la vallée,
Découvert le marais,
Croisé une rivière,
Longé mille remparts
Et tutoyé le caniveau.

Je suis en marche vers vos rives,
Il faut survivre avant de pouvoir vivre.
Manger, dormir et repartir sont mes épines.
Je ne fais pas le malin,
Je ne suis qu’un humain.

Je me suis tapi dans les fossés
J’ai rampé, le dos trempé
Les lèvres gercées.
J’ai connue la faim
J’ai fait taire ma peur
J’ai serré les poings.
J’ai connu le froid et les menteurs
J’ai attendu la nuit et redouté le jour.

Je suis en marche vers vos rives,
Il faut survivre avant de pouvoir vivre.
Manger, dormir et repartir sont mes épines.
Je ne fais pas le malin,
Je ne suis qu’un humain.

J’ai parcouru la plaine.
J’ai défié toutes les lois de la gravité
et celles de votre bonté.
J’ai fui les voleurs
J’ai tendu la main,
Lever le bras pour éviter les coups,
J’ai fui, couru, cœur à terre et ventre vide
Je connais l’attente et le silence.
J’ai redouté l’oubli.

Je suis en marche vers vos rives,
Il faut survivre avant de pouvoir vivre.
Manger, dormir et repartir sont mes épines.
Je ne fais pas le malin,
Je ne suis qu’un humain.

J’ai maudit le ciel et béni des hommes
Je connais l’odeur des quais
L’angoisse des soutes,
Le râle des cargos,
J’ai enlacé l’acier des essieux
J’ai oublié mes frères pour sauter les barrières
J’ai égaré mon âme pour passer la frontière
J’ai caché ma peur devant vos cerbères.

Je suis en marche vers vos rives,
Il faut survivre avant de pouvoir vivre.
Manger, dormir et repartir sont mes épines.
Je ne fais pas le malin,
Je ne suis qu’un humain

J’ai trimé, chargé, emballé,
Balayé, traîné et ravaudé.
J’ai bercé mes mains, et consolé ma fierté.
J’ai labouré et cueilli les fruits d’un été que m’oubliai.
J’ai dévalé les terrils. suivi des sentiers,
J’ai passé mille ponts, traversé tant de tunnels.
Dans la salle des pas perdus, je me suis fait la belle.

Je suis en marche vers vos rives,
Il faut survivre avant de pouvoir vivre.
Manger, dormir et repartir sont mes épines.
Je ne fais pas le malin,
Je ne suis qu’un humain.

Et puis un jour dans ce parc j’ai osé la regarder,
Mais j’ai du fuir les chiens que son père avait lâchés.
Alors j’ai repris le trimard, couru sur le ballast.
Je me suis dissout, fondu,
Je me suis lové dans la brume
J’ai avalé tant de poussière.
J’ai marché contre le vent, et j’ai parcouru les dunes.
J’ai tenté le tout pour le tout,
J’ai marché coute que coute,
J’ai tenu la cadence envers et contre tout.

Je me suis réfugié dans une jungle de cartons.
Je me suis battu pour une bâche de nylon,
J’ai apprivoisé les poux et les morpions.
Je n’ai plus de nom, moi qui n’ai plus de frères
Je n’ai que l’enfer moi qui ne reverrai jamais ma mère
Mais ils m’ont attrapé comme une mouche dans un filet
J’ai levé les bras et suivi les gendarmes.
Maintenant je suis en rétention.
Et derrière la grille j’invente mon évasion.
Rien ne m’arrêtera, je suis cheval fuyant le feu de la plaine.

Je suis en marche vers vos rives,
Il faut survivre avant de pouvoir vivre.
Manger, dormir et repartir sont mes épines.
Je ne fais pas le malin,
Je ne suis qu’un humain.

J’attends les serres qui me jetteront hors de vos terres.
Mais savez vous que la cendre étouffera mes pas
lorsque je marcherai vers mon village qui n’est plus que cimetière?
Savez vous que là bas que je n’aura pas le choix?
Parce qu’il faut survivre avant de pouvoir vivre.
Je suis humain alors ne faites pas les malins.
La misère est un fleuve,
Que rien ne peut contenir.
Alors demain je reprendrai la mer,
Et traverserai le désert.
Parce que le fleuve retourne toujours à la mer
Parce qu’une vague n’est jamais la dernière.
Je suis en marche vers vos rives.
Pour enfin tenter de vivre.

 

        Astrid Shriqui Garain,  2011

DIS

 

Dis un truc, n’importe quoi.
Dis moi un truc important …

- Un truc comment ?

Un truc qui nous rend autrement
Un truc qui change la rive
Un truc joli, même très petit…
Mais un truc qui rend tout différent…

- Un truc marrant?

J’me fous que ça soit marrant!
Un truc…là tout suite!
Un truc qui chassera le pire.

- Tout suite?

Ouais maintenant!

- Bon... un truc,  comme ….:
Avant toi,  c’était pas important!

C’est tout ce que tu as dans tes filets?
J’arrache ma dérive et tu me montres le quai.

- Elle est pas mal celle là !
C’est un peu grand! ...C’est pas si souvent…!

On s’en fout du moment
C’est là, c’est maintenant,
Putain j’ t’en prie!!!
Cherche un truc important !
Un truc pour survivre!
Un truc qui met les genoux en glaise,
Les mains contre la peur,
Et qui éventre le ciel!
Un truc que tu vomis et qui jaillit
Un truc qui pourfend et qui nous brûle
Un truc que te met la peau à l’envers

- un cri?

Non, un truc qui te fait présent,
Même si c’est violent !
Qui vibre et qui résonne
Qui brille et qui rayonne

- J’arrive même
pas à te faire rire…
Et puis c’est quoi….
important?

C’est comme le silence,
C’est la danse du sang
C’est l’amnésie du vide
C’est ta chair qui se déchire
Et puis le souffle d’un murmure.
Dis moi un truc important
Dis le maintenant!!

- Allez viens!
  Je t’attends.

 

Astrid Shriqui Garain,  2011.

En dehors du dedans

 

Je pense dos mais je sens voile
Je vois soleil mais je touche océan
Je dis bonjour mais écoute la nuit

Tout n’est que songe de l’âme

Je prends la route mais écarte le feuillage
Je cours en toute hâte mais regarde la dune de sable
Je meurs de soif mais me cogne contre cage.

Tout n’est que fantôme de l’âme

Je goute bonheur mais observe le drame
Je proclame mais tends l’oreille d’un âne
Je vis dehors mais palpite en dedans

Tout n’est qu’illusion

Lorsque je nais qui étais je en réalité ?
Lorsque que je mourrai la terre se mettra-t-elle à tourner ?
Je goûte le sel mais me consume sur l’asphalte
Je tremble mais écoute le fracas de l’orage

Tout n’est que chimère
Si je disparais ici
Quand vais je te retrouver?

Je vois tout ce ce que tu me dis
Mais découvre que tu ne me vois pas
Je respire chair mais deviens poussière

Tout est fantaisie

Absolue harmonie et désordre total
Chaos des âmes et logique infernale
Ondes de sable et murmure du temps.

En dehors du dedans
Tout est différent
En dedans du dehors
Tout est évident.

 Astrid Shriqui Garain , mars 2011 

 

Le toit du monde

 

 Photo: David Roeske

Qu’il est difficile de suivre ton pas
Mon enfant,
Tes pas de géant!
La vie nous malmène,
A en perdre haleine.
J’insuffle et tu respires
C’est la vie qui va
A grands pas.
Plus tu vas et moins je vais,
Cela va de soi.
Premier de cordée
De sérac en ubac
De couloir en rimaye
J’ouvre la voie.
De bel cairn en verte combe
Tu hâte déjà ton pas.
De vallée en doline
Tu fais entendre ta voix.
Enfant des cimes,
Ton cœur sait déjà
Qu’il est des neiges mortelles,
Et que des sources naissent
Des arcs en ciel.
De pic en brec,
De rocher en faille
Tu te hisses, gravis et surgis.
Tu franchis, passes et dévales.
Tu inspires et je respire.
Tu te fais maître de la danse
Et je chemine sur la draille.
J’assure les prises et tu ignores le vide.
Tes crues se font ruisseaux
Et mon souffle devient ressaut.
Dans cette course de glace,
Je me ferai tendre becquet
Pour que tu puisses atteindre l’adret.
Qu’il est difficile de suivre ton pas
Mon enfant
Tes pas de géant !
A donner la vie,
On risque parfois la sienne,
Mais il est des sommets qui touchent le ciel.
C’est ainsi que la vie va
A petits pas
Cela va de soi.

Astrid Shriqui Garain, 2011. 

Dans le jardin de Prévert

 


 

Collage de mots
De nos vies
Collage à l'envie
Collage à l'envers
Aux poèmes de Prévert

De jungle en jardin
De buses en fougères
Barques au filin
en rire de peau
collage
s'efface la ride d'eau
Livres entrouverts
Étrange estran
Vent insolent
Chandail frémissant

Collage d'ombres en lumière
Collage évident
Mettre tout à l'envers
Affronter l'océan
Rire de cet instant

Collage à l'envie
Collage à l'envers
Aux poèmes de Prévert
Au murmure d'un ruisseau
Suivre ses mots
De fleurs en rameaux
Sourire à ce présent

Tracer un arc en ciel
Repousser toutes les grilles
Et se donner la peine
La peine ne serait ce qu'un instant
De vivre joliment.

 

Astrid Shriqui Garain, 03.2011