mercredi 16 mars 2011

L'amer

 


J’ai pris la mer,
Traversé le désert
Effleuré la montagne,
Caressé la vallée,
Découvert le marais,
Croisé une rivière,
Longé mille remparts
Et tutoyé le caniveau.

Je suis en marche vers vos rives,
Il faut survivre avant de pouvoir vivre.
Manger, dormir et repartir sont mes épines.
Je ne fais pas le malin,
Je ne suis qu’un humain.

Je me suis tapi dans les fossés
J’ai rampé, le dos trempé
Les lèvres gercées.
J’ai connue la faim
J’ai fait taire ma peur
J’ai serré les poings.
J’ai connu le froid et les menteurs
J’ai attendu la nuit et redouté le jour.

Je suis en marche vers vos rives,
Il faut survivre avant de pouvoir vivre.
Manger, dormir et repartir sont mes épines.
Je ne fais pas le malin,
Je ne suis qu’un humain.

J’ai parcouru la plaine.
J’ai défié toutes les lois de la gravité
et celles de votre bonté.
J’ai fui les voleurs
J’ai tendu la main,
Lever le bras pour éviter les coups,
J’ai fui, couru, cœur à terre et ventre vide
Je connais l’attente et le silence.
J’ai redouté l’oubli.

Je suis en marche vers vos rives,
Il faut survivre avant de pouvoir vivre.
Manger, dormir et repartir sont mes épines.
Je ne fais pas le malin,
Je ne suis qu’un humain.

J’ai maudit le ciel et béni des hommes
Je connais l’odeur des quais
L’angoisse des soutes,
Le râle des cargos,
J’ai enlacé l’acier des essieux
J’ai oublié mes frères pour sauter les barrières
J’ai égaré mon âme pour passer la frontière
J’ai caché ma peur devant vos cerbères.

Je suis en marche vers vos rives,
Il faut survivre avant de pouvoir vivre.
Manger, dormir et repartir sont mes épines.
Je ne fais pas le malin,
Je ne suis qu’un humain

J’ai trimé, chargé, emballé,
Balayé, traîné et ravaudé.
J’ai bercé mes mains, et consolé ma fierté.
J’ai labouré et cueilli les fruits d’un été que m’oubliai.
J’ai dévalé les terrils. suivi des sentiers,
J’ai passé mille ponts, traversé tant de tunnels.
Dans la salle des pas perdus, je me suis fait la belle.

Je suis en marche vers vos rives,
Il faut survivre avant de pouvoir vivre.
Manger, dormir et repartir sont mes épines.
Je ne fais pas le malin,
Je ne suis qu’un humain.

Et puis un jour dans ce parc j’ai osé la regarder,
Mais j’ai du fuir les chiens que son père avait lâchés.
Alors j’ai repris le trimard, couru sur le ballast.
Je me suis dissout, fondu,
Je me suis lové dans la brume
J’ai avalé tant de poussière.
J’ai marché contre le vent, et j’ai parcouru les dunes.
J’ai tenté le tout pour le tout,
J’ai marché coute que coute,
J’ai tenu la cadence envers et contre tout.

Je me suis réfugié dans une jungle de cartons.
Je me suis battu pour une bâche de nylon,
J’ai apprivoisé les poux et les morpions.
Je n’ai plus de nom, moi qui n’ai plus de frères
Je n’ai que l’enfer moi qui ne reverrai jamais ma mère
Mais ils m’ont attrapé comme une mouche dans un filet
J’ai levé les bras et suivi les gendarmes.
Maintenant je suis en rétention.
Et derrière la grille j’invente mon évasion.
Rien ne m’arrêtera, je suis cheval fuyant le feu de la plaine.

Je suis en marche vers vos rives,
Il faut survivre avant de pouvoir vivre.
Manger, dormir et repartir sont mes épines.
Je ne fais pas le malin,
Je ne suis qu’un humain.

J’attends les serres qui me jetteront hors de vos terres.
Mais savez vous que la cendre étouffera mes pas
lorsque je marcherai vers mon village qui n’est plus que cimetière?
Savez vous que là bas que je n’aura pas le choix?
Parce qu’il faut survivre avant de pouvoir vivre.
Je suis humain alors ne faites pas les malins.
La misère est un fleuve,
Que rien ne peut contenir.
Alors demain je reprendrai la mer,
Et traverserai le désert.
Parce que le fleuve retourne toujours à la mer
Parce qu’une vague n’est jamais la dernière.
Je suis en marche vers vos rives.
Pour enfin tenter de vivre.

 

        Astrid Shriqui Garain,  2011

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