mercredi 7 août 2019

à l'angle de la vue





  
"Darkness".Copyright Sophie PATRY

https://sopatry4.wixsite.com/sophiepatry


La nuit sous son château de voiles
pleuvait de lumière comme vérité sur le sable.

Ses chemins étaient des chevaux de hasard
qui croisaient des fenêtres en regard.

A l’angle de la vue
La route était de décembre
et l’enfant dans sa chambre.

Le fleuve était si lourd de pourquoi
qu’ailleurs le ciel allait écrire sur le sable. 

La ville n’a rien su, ni des voiles, ni de l’ombre.
Perdue dans ses miroirs, à perte de vie,
elle fermait ses volières.

C’était pour beaucoup un soir.
Un soir comme pour d’autres.
Voilà, c’était là :
la signature d’un départ.

On dit avoir vu des oiseaux de mémoire.
Mais on doit savoir deviner ça 
dans le reflet d’une étoile.

La ville n’a rien retenu,
ni son nom, ni l’instant,
Il n’avait que l’espoir sur le dos
cinq lettres dans sa peau
et quelque bagage en naufrage.

L’image, déjà de septembre
et l’enfant écrit toujours son histoire.

La ville était de sable
et la lumière à l’ambre de la rue.

La nuit est un radeau de voiles
Qui emporte toujours la musique d’une chambre. 

Une once de vie contre une ombre de nuit
que voulez vous qu’on efface ?
Des lettres sur le sable ou le château à voiles ?

Il n’est de nuit venue que celle qu’on a pas vécue.



Astrid Shriqui Garain, "à l'angle de vue", Août 2019



vendredi 2 août 2019

celle que je suis , nouvelle





People 1 - Photographe : SOPHIE PATRY
https://sopatry4.wixsite.com/sophiepatry/people




Celle que je suis

Trois jours que la neige efface nos pas. Je la suis. Il n’y a que « là-bas ». Nous n’avons que ça dans le corps : un possible. Chacune le sien. Nous ne partageons rien si ce n’est cette route, qui n’est même pas une route, même pas une trace. Une condition.
Pas un besoin ni même un rêve. Ici, on ne s’évade pas.
Il ne reste rien. Trois fois rien, d’aussi loin que je me souvienne de ces jours, il ne reste que ce que nous avons en nous.
Une déchirure parfois me rappelle au jour. Au jour d’une porte, au jour d’un visage, au jour d’une phrase, au jour d’une flamme.
J’ai tout le temps ce mal en tête. Je ne sais pas ce qu’il y a sous cette bande qui enserre mon crâne. Je ne veux pas y toucher. Pas y penser.
Elle me regarde parfois. Je vois bien que quelque chose m’échappe. Elle me regarde. Ne dit rien. Elle doit avoir à peu près mon âge je crois. Je dis elle. Mais ça pourrait être lui. Je ne sais pas. J’ai le sentiment d’une femme. Je la suis. J’ai confiance. Je suis. De toute façon, à travers la blanche inconnue qui nous contient je n’ai qu’elle qui me donne signe. Et j’ai le sentiment qu’il ne me voit pas.
C’est étrange. Je devrais m’occuper de ma tête, penser à cette faim qui me ronge chaque jour davantage. Tout ce qui me préoccupe c’est de savoir qui marche et me précède. Ça changerait quoi de savoir ? Peut-être que je saurai ce que je suis. C’est possible. Quelqu’un devant moi c’est comme un axe autour duquel s’enroule la foulée de mes pensées.
Je ne sais rien. D’où je viens ? Quel est mon nom ? Est-ce que ça me manque vraiment ?
Elle s’arrête. Je m’arrête. Il aurait l’air inquiet. On dirait qu’elle devine ce que je pourrais redouter. Être perdu. Mais on n’est pas perdu quand on ne sait pas d’où on vient et encore moins où on va. Alors non, nous ne sommes pas perdues. Ce que nous avons connu s’est absenté. Nous vivons dans l’absence. Une absence qui risque bien de m’emporter. Tellement elle me contient. C’est du vide qui me presse et qui m’oppresse.
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On a passé une muraille d’acier, de tôles, de blocs de pierre. Elle a ramassé quelque chose et l’a mis dans sa poche. J’ai fait pareil. Je ne sais pas ce que c’est. C’est lourd, froid, ça a le goût du sang frais. Le même goût que mes lèvres avaient lorsqu’elle m’a trouvée. J’étais sous terre. Dans la nuit. C’est venu d’un coup. J’ai senti que ça bougeait. Que quelque chose se soulevait. C’est moi qu’on arrachait à la terre.
C’est elle qui a crié ? Je ne comprends pas ce qu’elle me dit. Elle ne comprend pas non plus ce que je dis. Enfin, je ne crois pas.
- 1 -
Elle devine... quand je n’en peux plus de la suivre, quand j’ai soif, quand je n’y crois plus. J’ai envie d’y croire. Au moins à sa présence.
Partout l’absence.
Il y a de la lumière qui passe au-dessus de nous. J’ai compté. Trois blanches, la cendre, trois blanches, la cendre… Ça ne s’arrête jamais. Il y a ce bruit que j’entends parfois. On dirait que ça marche ou plutôt que ça file derrière moi. Ça me frôle. Maintenant c’est à côté de moi.
Elle marche et je la suis. Le vent efface les contours de ce qui nous entoure, tout se ressemble, tout, à part moi. C’est la nuit où rien ne bouge. Je suis. Les bruits sont là. Toujours. J’ai appris à ne pas me fier à ce que je vois. Ce que je crois devient de plus en plus sûr en moi. Ce que je crois me rassure. Je la vois, mais ça ne suffit plus.
Depuis hier, je me dis que si je vis tout ça ce n’est pas sans raison. Que celle qui marche devant moi ne m’est pas inconnue. Que je suis comme elle et que cette certitude ne m’absente pas. Je tiens avec ça. Je dis hier, mais ce mot c’est comme de la poussière qui tombe du plafond de l’espace. Les mots me distancent.
Le vent ne passe plus, on dirait que quelque chose d’invisible glisse autour de moi. Nous sommes en dedans, mais en dehors à la fois. Habitante et mystère enchaînent leurs pas. J’ai des mots qui m’arrivent comme des feuilles tombées du ciel. Ça arrive quand ça se déchire dans ma tête.
Le mot « évacué » par exemple. Ou encore « Ave.Nu ». Un autre aussi, de plus en plus souvent… : « Partir », celui-là il vient lorsque ma gorge se déchire. J’étouffe ; j’ai du sable qui entre. Je veux arracher le masque. Tout s’effondre en dedans. Les mots sont comme des rochers qui viennent percuter un palais de glace.
J’ai un masque qui me recouvre la bouche et le nez. J’ai essayé de l’enlever. Elle a crié et m’en a empêché. J’ai compris qu’il fallait le garder. Peut-être que sans lui je ne pourrai plus la suivre… J’ai ça depuis qu’autour de moi tout s’est soulevé. Quand elle m’a trouvée. Ou peut-être retrouvée.
Il y avait une chose dans le ciel. Il s’est posé. Et il nous a emmenées. J’ai fermé les yeux. C’était avant que la neige recouvre tout ce qui me dépassait.
Peut-être que je ne lui ressemble pas. Peut-être qu’elle le sait et moi pas. Et, si je ne sais rien, c’est que je viens d’arriver, je suis peut-être la première de mon espèce… ou la dernière. Est-ce que là-bas la pluie s’est arrêtée de tomber ?
Je suis, je la suis, mais je ne suis pas comme elle, elle marche et je glisse.
C’est un pays froid, qui n’a qu’une seule odeur. Elle est partout, peut-être que nous la portons en nous ? Il y a des couleurs, mais une seule à la fois. J’en ai compté cinq depuis que la chose s’est arrêtée et s’est posée.
- 2 -
Un pays pierre, un pays mer, un pays sable, un pays arbre, un pays glace.
Elle est comme un pays. Elle change. La même mais un autre, avec d’autres bruits.
Elle a la couleur de l’encre. Hier, je disais qu’elle était du pays de neige. Hier, c’est un mot qui fait le même bruit qu’une allumette brûlée.
Je ne me retrouve pas. J’ai besoin de me rassurer. Je la vois. Je suis. C’est déjà ça.
Peut-être que j’ai mal vu. J’ai peut-être cru... Peut-être que ce n’était pas elle ? Un autre ? Et si c’était moi ? Ça ne peut pas être moi… Elle marche et moi je glisse. Vers quoi ?

Je me rappelle d’une ligne d’encre… avec des îles comme des feux. Je crois que la neige n’était pas là. L’eau tombait de partout et sur tout, du ciel… sur mes joues, dans l’encre et sur la mer. Je me souviens de ça. J’avais l’impression de me noyer. Après… plus rien. Après son cri, l’objet, ma tête, ces pays.
Il y a bien ce bruit. Mais je ne sais pas où le placer. Avant ? Maintenant ? Peut-être que ce bruit est dans ma tête, quelque chose y est peut-être entré ?
Je ne suis peut-être pas comme elle, peut-être que je suis un objet… Mais un objet ça ne pense pas… ça c’est juste ce que je crois, ce que je vois c’est que je glisse, moi je ne marche pas. Je ne fonctionne plus. Ça doit être ça. Qu’est-ce que je faisais sous terre ?… Je viens de là-bas ? C’est pour ça qu’on doit y aller ? S’en retourner ?
Elle s’arrête. J’arrête. Tout s’arrête. Elle ne se retourne pas. Trois jours… mais ça ne veut rien dire…
Comment savoir la longueur et même l’épaisseur d’un jour ? Peut-être que je devrais compter en couleurs... cinq couleurs… en odeur… une couleur… compter sur elle pour me le dire.
J’ai des jambes. Je le vois. Mais je crois que je ne les sens pas. Je les touche, mais c’est comme quand je touche mon masque. Ma main sait, mais ma tête croit. C’est bizarre, je crois que je pourrais glisser comme ça encore très longtemps… c’est quoi ce truc qu’on a ramassé ? Ça va nous servir à quoi ? C’est lourd et c’est froid. J’ai fait comme elle... peut-être que là où nous allons ça nous servira.
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L’objet se remet à sonner. Il y a des fils verts qui agitent des ombres sur les murs. Je tremble au même rythme qu’elles frissonnent. Elle n’est plus là. Mais je l’entends marcher. Elle s’est absentée. Mes jambes sont avec moi. C’est encore ça. Il faut que je patiente. Je sais que ça ne va pas s’arrêter là.
Quelqu’un ou quelque chose a pris ce que j’avais ramassé. Moi aussi on m’a ramassée. Peut-être qu’elle m’a trouvée, prise, emportée. On sert peut-être à ça. À remplir du vide.
- 3 -
On prend, on ramasse, on transporte, on dépose, plus loin on recommence ; tout le temps.
C’est peut-être ça, dans ce monde ce qu’on appelle : possible.
Un tissu d’invisible fait de points de possibles, à travers lequel on pourrait lire de qu’il y a vraiment de visible.
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La sonnerie s’arrête et recommence. Je n’ai pas compris à quel rythme ça reprend. Le bruit n’est plus dans ma tête, ça j’en suis certaine. Je le sais depuis que la douleur s’est arrêtée. Question de rapport à mon corps étranger.
Toujours la même odeur. Mais le pays a changé. Je ne glisse plus. J’ai cru que je flottais, mais depuis que ces fils verts se sont mis à dessiner, je crois que tout semble être arrêté. Tout, même ses pas. Elle n’est plus absente. Je ne suis pas sauvée, mais fatiguée. Les fils ont fini de danser. Voilà, je glisse. On reprend. On ne s’évade pas.
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J’ai crié. Je sais que j’ai crié. J’ai entendu dans ma tête des miroirs de lettres se fracasser. C’était comme des murs qui s’effondraient. Mon cri avait une couleur inconnue. c’est la première fois depuis la pluie que j’entends une voix. C’était la mienne. Ça je le crois.
Il pleut, mais la pluie ne me touche pas. Rapport à ce monde dans lequel un nom m’est toujours étranger. Le mien. Habitante et colère commencent à discuter.
La boîte est ouverte. Je suis dedans. Je flotte. Je n’ai pas froid. Je n’ai plus de bandage. Mais je n’arrive plus à bouger la tête. Je fixe un ciel, couleur sel vitrifié. Elle est de dos et moi de sommeil.
J’ai une idée en tête, mais elle est à l’arrêt.
On frappe sur mon masque. Des coups, de masse, de poings. Si ça continue comme ça ma tête va exploser. J’ai chaud. Y a des bruits là-bas. Ça rampe, ça se faufile. Faut pas les faire entrer. Pas les laisser passer. Ça va m’emporter. Faut pas que j’aille là-bas. Je vais encore glisser sur la neige. Je ne veux pas qu’on me retrouve ni qu’on me suive. Ça recommence. Le mot souffle dans tout mon corps. Je veux ce mot, je veux partir.
Je n’entends plus rien. Rien que l’absence. Est-ce que je suis encore loin ? Je sais qu’elle n’est pas loin. Elle ne peut pas m’avoir remplacée. Où est passé mon objet ?
Je suis debout. Le monde est à la vertical. Je suis l’axe autour duquel se déroule un ballet insensé de silhouettes. Rien de précisément exact. Je suis debout et mes jambes sont des ciseaux qui découpent des formes étranges dans l’espace.
- 4 -
Je pousse. Ça tire, je tire, ça me retient. Des fils, des fils me tiennent les mains. La tête, le dos, le ventre. Pieds et jambes. Je ne suis pourtant reliée à rien. Recousue de fils blancs. Des fils s’échappent de moi. Je n’y comprends rien. Je suis debout, je m’effiloche. Je me détache. Les fils se relâchent.
Est-ce que là-bas la neige a vraiment effacé nos pas ? Où est-elle ? Je n’entends plus ses pas. Je suis seule devant moi.
Ça coule. Coule en moi. Ça me remplit. Le vide s’écarte.
Ça frappe dans mon corps. Ça fait un bruit fou. Qu’est-ce qui frappe comme ça ? Ça ne veut pas dire ce que j’ai dans le ventre. Çà vient du cœur ? Ramassé ? Remplacé ? Réparé ? Ça remplace le vide ? Mais le vide à présent où est-il ? Qu’est-ce que s’entrechoque et qui s’accroche en moi ?
Le mot me revient en bouche. Partir est le torrent par lequel je vais ressortir.
Un pas. Je ne tombe pas. Un autre pas. J’ai sur les lèvres un autre goût du temps.
Avenue. Elle filait devant moi. J’étais platane, grille, j’étais l’objet, le feu qui brûlait la forêt. J’étais l’acier, j’étais des lames tombées du ciel, j’étais flocon, soupirail, plongée dans mes entrailles, j’étais le passage du vent, j’étais invisible, absence, sans réponse, sans question, sans raison. Je roulais et glissais sur les fibres d’un papier de cristal.
Après...L’image de l’objet se projette. Où est-il à présent ? Le manque me laisse des traces de papier blanc.
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Ça brille devant moi. c’est comme une porte ouverte. c’est trop petit pour être une porte. J’avance à mes pas maladroits. Pourvu que les fils me laissent faire. Pourvu qu’ils ne me retiennent pas. J’allonge un bras. J’ouvre la main. Je touche. C’est lisse, et c’est si blanc. Un soleil de cendres revenu du néant. Possible. Possible de voir, d’entendre, de comprendre.
Elle est là devant moi. Elle est prisonnière d’un carré de glace. Elle est devant moi. Je vois et je crois qu’elle est comme moi.
Celle que je suis est peut être en corps devant moi.


Astrid Shriqui Garain, III. 2019





Ton pays







Mes yeux se portaient sur chaque coté de la rue.

 
J’aimais ce village pour ce qu’il m’avait donné :

L’amitié de mon père,
 
et la certitude que l’enfance n’était pas un pays vaincu.

 
Ils revenaient vers moi ceux que je croyais disparus.

 
La lumière riait aux pierres ,
 
et les pierres chantaient de la fontaine venue.
 

Tous les étés sur le chemin de nos rêves
 
parle d’un enfant qui donna son sourire à cette rue.


Billes d’agates,
 
Abeilles venues,

Premier orage,
 
Lettres tenues.
 

Mes yeux se portaient sur chaque coté de la rue :

La mémoire de mon père,
 
et la certitude que l’amour
 
n’est jamais un pays perdu.




Astrid Shriqui Garain, ' Ton pays" 08.2019