lundi 6 juin 2016

Les remparts










C'est la fin des ombres mi-closes crochetées à la 

dormance des heures. 

Tu sens des petites coulées de ton chemin juste à 

l’entaille de la langue. Elles te balancent  hors du 

couloir du chœur.



Tes paupières blanches dérivent sur un tableau 

d’images. Partance des roses, échardes aux rivages, 

murmures à tant de pas revenus. Il est toujours

minuit à l'horloge d'une gare. Dernier refrain.



Après... l'ami, après, c'est entendu...


Toucher d’autres remparts. Les prendre vides. Les 

rendre creux. Les sentir. De tes mains... te sauver ? 

Mais par où grand bleu, vers quoi ?… alors… 

reconstruis, parce que dans le dernier mirage il te 

faudra bien y loger ta gueule.
 
Partir, mais aux feuilles des branches. Partir mais à la 

portière d'un drame, partir mais laisser une trace. Un 

trousseau d’images pendu au porte marteau de tes

heures.



Détacher les mots. Arracher. Plier. Lier. S’en charger. 

Fagoter ces orphelins de lumière avec quelques 

parfums à peine et les jeter à la lumière du canal.



Il faut finir, et bien. Lécher son écuelle, la laper. Et 

éructer le mot. Il ne s'agit pas de suffoquer.



Il faut être prêt. Prêt, entends-tu ?



La fin doit te faire beau, grand, c'est la fin qui justifie 

tous les bateaux. Et les bateaux… Dieu n'est pas le 

seul à savoir combien de bouteilles il t'a fallu vider 

pour y faire entrer tous tes  radeaux.



C'est la fin des ombres, la lumière entre en robe 

blanche. Le jour commence. La nuit a été confidente. 

Elle a tenu parole. A ton chevet elle est restée. 

Fidèle, c'est la première amante. 

Celle avec qui tu t'es construit. Elle t'a tout donné la 

nuit. Tout. La fournaise, l'étrave, l'outrance,


l'outrage, la vague, la soif, la peur aussi. Et puis elle 


t'a donné ce que tu as eu de plus beau. Cette nuit là 

elle a fait de toi un prince, un dieu, une prêtresse, 

une reine, cette nuit là elle a fait ce que tu voulais de 

toi. Tu as tenu en toi le monde entier. T'avais pris ça 

dans le cœur. Tu l'as gardé. Depuis toutes ces 

années.



Attends… l'ami, après, c'est entendu…
 

Ce que cette nuit  a mis dans ton cœur, tu l'as 

gardé. C'est pour ça que cette nuit, elle est revenue. 

C'est la fin bien sûr, tu le sais.



L’haleine du mensonge souffle comme un fantôme sur

leurs braises.

Dans la nuit personne ne voit un arbre trembler ni 

même un autre se coucher.
 

À peine si on l’entend. Ils n'ont que des trous au fond 

des yeux. Pas de place pour le ciel.
 

Et pourtant chacun sent sa bouche glacée se poser 

sur le front fiévreux de son prochain destin.
 

Est-ce le doigt d’un dieu aveugle qui chercherait 

parmi nous la raison du feu le plus ancien ?
 

Devant le geste de nos mains il semble flamber le 

regard ouvert de toutes nos œuvres.


Le mur est une porte, la fenêtre porte le dôme, tu 

sens, tu respires, c'est le fleuve là-bas qui marche 

vers toi.


Tu as dix ans. Tu lui tiens la main. Elle marche vite. 

Le chemin est poussière. Tu as des lèvres d'enfant. 

Les mots sont comme tes pas. Tu les voudrais 

grands, tu les portes à bout de voix. Tu demandes 

elle ne répond pas. Elle marche. Vous marchez. La 

lumière arrive.


Attends, l'ami, rappelle-toi.


À la ligne, à cette ligne vous vivrez.. 

Ça tient à quoi la vie ? Un nom, une date, un train, 

cette ligne ?


Perdre l’innocence de soi est un malheur. Voir 

s’éloigner l’enfance de ce qui viendra
 
c’est perdre l’avance de son être. Dire le hasard 

comme on en déplierait le mot, le prononcer,
 

comprendre qu’il passe sur une route et le voir 

devenir entre son peu et cette peau le dernier témoin 

de soi. Être jeté à l’inconscience du présent.


Marcher sous le retard du jour comme une goutte sur 

la langue du soleil. Brûlant toujours d’espace sous un 

espoir suffocant de renaître.


Tu te voudrais sourd. Être ! Aveuglément libre 
peut-être jusqu’au dernier moment dans un fossé 
 glissant de jours. Et ils sont là à fouiller leur mot.


Viens, écoute, l'ami avance et le silence se remplit.


 © - Astrid Shriqui Garain




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