« Cette
histoire est écrite à la mémoire et à la gloire de Rodwell, mon
amant noir qui vit à Chicago dans la Michigan Avenue, au quartier
nègre.
"En
Amérique, dit Rodwell, on tue nos âmes."
La paix soit à son
corps, et que l'épargne au sein des émeutes le délire imbécile et
jaloux des Blancs à tête de singe.
Que son grand sexe
velouté, que j'ai tenu dans mes mains blanches, pareil à un lys
noir tressaillant, fasse crier d'amour les négresses luisantes, et
qu'il dresse leurs seins comme des lunes de bronze.
Car je marcherais
pieds nus à travers toute la terre, je sentirais avec délice les
épines s’enfoncer dans ma chair, les sables me brûler et les
cristaux de neige m'écorcher comme des couteaux, si je pouvais
sentir encore en moi sa tige de feu me défoncer le ventre, tornade
brûlante de l'amour noir.
Oui, nous nous
sommes aimés, nous nous sommes drogués, nous nous sommes anéantis
dans les cris rauques du jazz. Je suis vide. Ton absence m'est la
plus précieuse. Ta chair bleuit le soir à ma fenêtre et
s'assombrit tout entière, refermant sur moi sa coupole constellée
de sueurs d'or. Je suis toi. Je n'ai pas d'autre chant que ton nom
sur mes lèvres. »
Voici une des plus
belle lettre d'amour qui vous sera donnée de lire.
C'est Grisélidis et
Rodwell. C'est un amour. C'est le seul fruit qui protège l'arbre.
Grisélidis Réal,
peintre, écrivain, prostituée. Mère de quatre enfants. Une
princesse tzigane.
Une reine. Pas une
sainte. Ah ça non !!! , sans doute se serait- elle écriée.
Une femme du
genre... rebelle.
Hors la loi, pour ceux qui écrivent les lois.
Elle , comme Libre
pour ceux qui suivent les étoiles.
Je repense aux saintes du
scandale d'Erri de Luca.
Il y a un peu de ça
je crois.
Païenne, profane, une âme, une force animiste, une
source. Quelque chose de tellurique, d'ancestrale, de tribal.
Grisélidis est une
femme mythique. Belle, flamboyante, extravagante, espiègle, rusée,
bouleversante, une femme louve, une mère lionne.
Oui elle se
prostitue, et le revendique dans ce Munich d'après guerre, dans
cette Europe ravagée, dans ce pays de nuit et de brouillard, elle
danse, elle jazz, elle aime, elle accueille dans son ventre toutes
les fleuves, tous les torrents, toutes le larmes.
Elle sait le froid,
le manque, elle sait la solitude, elle sait le partage, la peur, et
l'innocence. Elle sait la colère, l'injustice.
Elle ne ment pas, ne vole pas, ne fais de mal à
personne. Elle défend celle ou celui qui doit être défendu., peu
importe son statut. Toute sa vie elle défendra les droits des
prostituées. Elle connaissait cet enfer, elle combattait
l'hypocrisie d'une société soumis à l'ordre religieux et
bourgeois.
On la montre du
doigt. On la croit perdue, incurable, incapable, de si basses vertus.
Et elle
vit, elle crée, elle vit, elle résiste.
Elle marche sur le trait. «
Un trait, une corde, une ligne de douleur qui parcourt le monde et
sur laquelle nous marchons toutes. Une sorte d'équateur invisible,
qui traverse la terre et nous écorche les pieds et l'âme. "
Auf den
Stricht.
Dans ce monde
capable d'exterminer des êtres humains, elle vit en choisissant son
chemin, en choisissant de vivre parmi ceux qu'elle a choisi pour être
siens.
Ceux dont le « coeur faisait fondre l'hiver ».
« Sonja, le
son de ta voix rocailleuse résonne à mon oreille, ton sourire est
en moi, il m'habite. Ton ventre tant de fois gonflé et brûlé par
les mater,ités et ls maladies, sous son petit tablier, c'est le
ventre de toutes les femmes tziganes déportées dont les noms
oubliés sont chuchotés aux portes des anciens camps, sur les
chardons, les pierres et les vieux barbelés enfoncés dans le sol
des terrains vagues, les soirs de grand vent ».
Celles et ceux qui
n'ont qu'un seul pays, qu 'une seule patrie, qu'une seule identité
: l'humain. L'humain avant tout.
« Moi, je suis de race
gitane.J'aime la nuit et son haleine invisible qui donne à l'univers
son espace sans limites. »
C'est une écriture, objet de littérature. Une relle écriture.
C'est un
témoignage,aussi, un récit autobiographique. C'est également la
radioscopie de cette société qui après guerre alors que le monde
avait basculer dans la barbarie, alors qu'il venait d'en sortir et
cela de justesse, ce monde n'avait de cesse que de reprendre ses
méchantes habitudes. Dicter sa morale, ses lois, interdire,
enfermer, surveiller, ficher, dénoncer, cadenasser, .
Un monde avec des
armées, ses polices, ses prisons et sa morale , un monde qui
n'avait rien compris à ce qui s'était passer. Un monde incapable de
retenir la moindre leçon et qui se précipitait à en redonner et
cela même devant les charniers qu'il avait lui même dressé. Un monde qui n'en finira jamais de dresser des murs.
Un
monde qui ne cessait de vouloir recommencer. Car si la prostitution
est un délit, la guerre elle est un crime contre l'humanité.
Les putes
ont les jettent en prison, les généraux on les décorent.
Chercher l'error mon « saigne-or »….
Soyons conscients
comme l'était Victor Hugo que « La misère offre,
la société accepte ».
La société est
grosse et pleine de ses propres délits. Ici les clients sont aussi
les marchands.
Alors oui elle est
belle. Son écriture est belle. Parce qu'elle est vraie.
Sa peinture nous
parle. Elle nous parle de la nuit, de la première nuit, de la
première étoile.
Grisélidis Réal
est enterrée au cimetière des Rois à Genève.
Certains rois ont à
présent une Reine.
Astrid Shriqui Garain, 09.2016, lecture.
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