jeudi 29 septembre 2016

Titus lisant, Rembrandt.



Titus lisant ( 1656-1658),de  Rembrandt van Rijn. 



28 septembre 2016 . Paris. Musée Jacquemart-André .
Une nouvelle fois. 
Qu'est ce que je fais là ? Qu'est ce que je viens y faire ? 
Qu'est ce que j'y cherche ? 
Est ce que j'y cherche réellement quelque chose ? Qu'est ce que je regarde ? Qu'est ce que je dois y voir ? 
Qu'est ce qui s'y cache, s'y niche, qu'est ce qui n'est plus là, perdu ? disparu ?

Le trop. Le trop de monde, trop de bruit. Le trop de tableaux, d'images, de lumières, trop de phrases, de verbes. Trop de lustres, de beauté, de chefs d’œuvre. Trop. Parfois.

Pas assez, pas assez d'exemples, pas assez de tissages, de croisements, pas assez d'éléments, de juxtapositions, pas assez de confrontations, pas assez de lettres , de contrastes, de torsions, d'affrontements. impossibles mots. pas assez. Toujours.

Galeries, salles, couloirs, une fois passer les groupes , prendre l'escalier.

Des pas , des visages, des galeries, des marches, des yeux, des bouches.
Je ne vois pas. Je n'entends rien. Je ne suis pas là pour entendre ça. J'ai rendez vous. Rendez vous avec une empreinte, une empreinte laissée par une main il y a des siècles.
 Pas sur les parois d'une grotte, pas dans l'écorce d'un arbre, pas cette fois là.

Ici tout est luxe ,
tout n'est pas calme, quant à la volupté...Sait-on encore sur quel sofa elle s'est abandonnée ?… mais là sans doute n'est plus le sujet.

Alors donc la peinture. L'image peinte. Qui devient parfois, avec le temps, avec le génie, avec le chaos de l'histoire, cette image qui en deviendrait presque sainte.

Rembrandt par exemple. Rembrandt. Un maître. Un presque dieu. Une icône, peint par lui même.

Mais on ne connaît jamais la main. L'esprit peut être. Mais jamais la main. A peine est on capable de saisir un regard. L'ombre à regret. 
 


 les yeux de Rembrandt, extrait d'un de ses auto-portraits .


«  prendre un Rembrandt comme planche à repasser », disait Marcel Duchamp. Ou de salut ?.... allez savoir. On ne sait jamais. 

Un Rembrandt, un objet ? Quelque que chose de grand . Une hypothèse. Ou quelque chose d 'utile, d'important pour l'oiseau allait lui répondre Prévert. 





Rembrandt. Je connaissais son nom, pas l’œuvre. Pas son cheminement. Pas son exact demeure. Pas son adresse. Et je ne connais toujours pas Rembrandt. Même si je l'ai rencontré. 

Alors Rembrandt et ses amours.


Portrait de Hendrickje Stoffels  
 

 Rembrandt et l'amour. Parce que oui Rembrandt a quelque chose de spécial. Oui il est le peintre de la lumière, de l'ombre qui fait la lumière, de la lumière qui maîtrise l'ombre.
Sa main a fait plier l'ombre, l'a pénétrée, l'a écartelée , lui a fait mettre genou à terre. 

Oui Rembrandt et la lumière. 



Les trois croix, extrait, eau forte, 2e état.1653
 
 
Rembrandt. Le serviteur. Et c'est parce qu'il se savait serviteur qu'il a peint jusqu'au bout, jusqu'à la fin dans le dénuement, dans la solitude. Ni dieu, ni maître, mais serviteur.

Rembrandt aucune tombe ne porte ton nom. 

Le serviteur de qui ? Pas des saints, ni des dieux, ni des clergés, ni du pouvoir, ni de l'argent.

Serviteur de la lumière. Mais qu'est ce donc la lumière en peinture ? 
Essayer d'y répondre ce serait  un peu faire la lumière sur sa vie. 

Pourquoi la convoquer, la faire entrer dans sa peintre ? Pourquoi ? Pour l'éclat ? Pour la parfaite évidence ? 

Où la poser, où la déposer ? Où la verser ? 

Il est des lumières comme des odeurs. Certains parlent d'odeurs, de parfums, là où d'autres redoutent la puanteur. 

Il faut oser imaginer jamais redouter la réalité. 

Puisque lumière est matière, alors elle doit en supporter toute les louanges, tous les désordres, toutes les injures. 
Éclater ou se rompre. 

Lumière froide, lumière crue, lumière cristal, lumière foudroyante, brûlante ardente, lumière calme, douce, enveloppante, haletante, lumière attirante, provocante, impitoyable, lumière accueillante, bienfaisante, lumière aimante, nue, abondante.

Et si le langage était celui là. L'amour et la lumière... indissociables. Comme beauté et vérité. Indissociables. Faisons entrer la bonté et nous pourrons jeter toutes nos clés….

C'est devant le tableau de « Titus lisant » que j'ai trouvé Rembrandt.
C'est là que nous nous sommes rencontrés.
Là où tout s'est apaisé. La foule, le bruit. Tout s'est apaisé. Il n'y avait plus de mots, de bras, de têtes, de dos. L'espace devenait. La distance ? Je m'en foutais. Le rapport ? Disparu. 

Alors Titus lisant. Ce que j'ai vu ? Dans cet espace ?
J'y ai vu ce que la main d'un homme portée par l'esprit peut adresser à d'autres hommes : son amour. 

J'ai vu qu'il était possible que la lumière embrasse son sujet.

Si vous allez voir Titus lisant vous verrez, vous verrez que ,de cette lumière, Rembrandt en a fait un baiser. 

La lumière embrasse le front et plus légèrement la main de Titus.

Titus était le fils du peintre. C'est un des plus grands tableaux que j'ai pu voir .

Je n'ai jamais vu la lumière être de cette façon là. D'une façon aussi simple, percutante.

Rembrandt a donné bien plus qu'un corps à la lumière, il lui a donné vie en lui donnant sa parole. 

Bien sur il y en aura d'autres. D'autres tableaux. D'autres moments d'extase. D'autre rencontres. Je me le souhaite. Je le sais et le pressens. Mais ce tableau là , c'est un pas de plus, une rencontre, une pensée. Un tableau ami.

J'étais venue, je l'avoue pour les dessins encres, les eaux fortes.






 Je me disais, dans mon insuffisance, je me disais « Rembrandt et la lumière c'est un peu joué d'avance... » 

Oui les lavis, les encres, les gravures sont admirables. 

Rembrandt aimait les hommes, les sans noms, ceux que l'on nomme « gueux », les enfants, les servantes, .

 Avec humilité, avec raison  et avec respect il les a merveilleusement croqués, saisis, dessinés. 

Avec curiosité, il s'est portraituré. Il a fouillé, trituré sa face. Faisant de son visage un champ d’exploration. Pourchassant l' émotion pour formuler le sentiment.

Oui je me disais : Rembrandt et la lumière c'est un peu chercher la lumière en plein soleil.
 Oui je me disais. J'aurai du me taire.

Écrire. En trait, en lumière, en touche, en note, écrire ; Peindre c'est écrire. 

Et ce que Rembrandt a écrit sur le front de Titus, c'est le début et la fin de l'histoire. C'est l'infini et le présent, c'est l'espoir, l'empreinte. Parce que l'empreinte est toujours un espoir. Bien plus qu'un témoignage. L’empreinte c'est l'espoir de ce qui fut, et qui justement pourra revenir, parce que cela fut. L'empreinte c'est l'espoir devenu. L'annonce d'un recommencement. La preuve d'un début. 
La lumière comme le point. En pleine figure. 

Alors en embrassant de sa lumière le front de son fils, Rembrandt embrasse tous les hommes.
Ce qui est venu, celui qui est là, et jusqu'à celui qui viendra.
Oui, Rembrandt a quelque chose de particulier. Une intelligence je crois.

« Cet infini surhumain entrouvert », écrivait à son sujet, Vincent Van Gogh à son frère Théo en 1889.

Un geste comme des lèvres qui tenterait de formuler l'espoir.

Oui, Derain, Delacroix, Van Gogh, Gauguin, Redon. Rothko...tellement d'intelligences l'ont approché.

Alors est ce important de parler de ça ? De dire que sur un linge tendu, une toile, il existe une empreinte, est-ce important de parler ce langage là, de ces lèvres posées sur ce front, d'essayer, de tenter, d'exprimer cette formule ? Je dis : oui. 

Oui, c'est important.

Alors qu'il suffit parfois d'un seul mot prononcé, et parfois même seulement d'un regard , d'un silence, pour que l'enfer vienne sur terre, alors oui un geste comme la lumière de Rembrandt c'est important. Et ce n'est pas parce que c'est Rembrandt, même si il a bien fallu que Rembrandt devienne ce qu'il est devenu pour que cette empreinte nous parvienne.
Non ce n'est pas parce qu'évidement c'est Rembrandt, mais parce que simplement c'était Rembrandt. Et demain cela sera également.

« C'est un cri répété par mille sentinelles,
Un ordre renvoyé par mille porte-voix ;
C'est un phare allumé sur mille citadelles,
Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois ! » ainsi parlait Charles Baudelaire de ses phares dont il nous indiquait les lumières.

«  il faut être mort plusieurs fois pour peindre comme cela » écrivait encore Vincent Van Gogh au sujet de Rembrandt.

« Le magicien le prophète »  disait Paul Gauguin

«  l'éloquence de l'invisible » disait Émile Bernard.
Rembrandt, l'intime...

l'intime conviction que Rothko avait raison en évoquant l' émotionalisme universel  de Rembrandt.


Dans l'intimité de Rembrandt il y a beaucoup, en nous, au plus profond de nous.
A regarder tous ses autoportraits, il nous ressemble beaucoup.
Prendre l'ombre et la lumière, prendre ce qui est grand, ce qui est à genou, ce qui exulte , ce qui se courbe, et ce qui est silence, ce qui est obscurité et ce qui est voyance, il faut embrasser le tout. Sans cela, ni mot, ni matière, aucune trace, aucun devenir, nul souvenir. Aucune formulation possible. La nuit tomberait en nous. 

Paris, le 28 septembre 2016, le jour où j'ai rencontré Rembrandt. Nous nous retrouverons, c'est prévu.

L'exposition Rembrandt intime se tient jusqu'au 23 janvier 2017 au musée Jacquemart- André, à Paris.



Je ne suis plus vraiment certaine que la vitesse de la lumière puisse se calculer en mètre seconde.

Peut être que sa vitesse ne peut pas se concevoir, 
et que sa valeur n'a d'égal que son intensité.   
Ce serait un peu comme un auto-portrait.



09.2016.





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