Titus lisant ( 1656-1658),de Rembrandt van Rijn.
28 septembre 2016 .
Paris. Musée Jacquemart-André .
Une nouvelle fois.
Qu'est ce que
je fais là ? Qu'est ce que je viens y faire ?
Qu'est ce que j'y
cherche ?
Est ce que j'y cherche réellement quelque chose ?
Qu'est ce que je regarde ? Qu'est ce que je dois y voir ?
Qu'est ce qui s'y cache, s'y niche, qu'est ce qui n'est plus là,
perdu ? disparu ?
Le trop. Le trop de
monde, trop de bruit. Le trop de tableaux, d'images, de lumières,
trop de phrases, de verbes. Trop de lustres, de beauté, de chefs
d’œuvre. Trop. Parfois.
Pas assez, pas assez
d'exemples, pas assez de tissages, de croisements, pas assez
d'éléments, de juxtapositions, pas assez de confrontations, pas
assez de lettres , de contrastes, de torsions, d'affrontements.
impossibles mots. pas assez. Toujours.
Galeries, salles,
couloirs, une fois passer les groupes , prendre l'escalier.
Des pas , des
visages, des galeries, des marches, des yeux, des bouches.
Je ne vois pas. Je
n'entends rien. Je ne suis pas là pour entendre ça. J'ai rendez
vous. Rendez vous avec une empreinte, une empreinte laissée par une
main il y a des siècles.
Pas sur les parois
d'une grotte, pas dans l'écorce d'un arbre, pas cette fois là.
Ici tout est luxe ,
tout n'est pas
calme, quant à la volupté...Sait-on encore sur quel sofa elle
s'est abandonnée ?… mais là sans doute n'est plus le sujet.
Alors donc la
peinture. L'image peinte. Qui devient parfois, avec le temps, avec le
génie, avec le chaos de l'histoire, cette image qui en deviendrait
presque sainte.
Rembrandt par
exemple. Rembrandt. Un maître. Un presque dieu. Une icône, peint
par lui même.
Mais on ne connaît
jamais la main. L'esprit peut être. Mais jamais la main. A peine est
on capable de saisir un regard. L'ombre à regret.
les yeux de Rembrandt, extrait d'un de ses auto-portraits .
« prendre
un Rembrandt comme planche à repasser », disait Marcel
Duchamp. Ou de salut ?.... allez savoir. On ne sait jamais.
Un Rembrandt, un
objet ? Quelque que chose de grand . Une hypothèse. Ou quelque
chose d 'utile, d'important pour l'oiseau allait lui répondre
Prévert.
Rembrandt. Je
connaissais son nom, pas l’œuvre. Pas son cheminement. Pas son
exact demeure. Pas son adresse. Et je ne connais toujours pas
Rembrandt. Même si je l'ai rencontré.
Alors Rembrandt et
ses amours.
Portrait de Hendrickje Stoffels
Rembrandt et l'amour. Parce que oui Rembrandt a quelque
chose de spécial. Oui il est le peintre de la lumière, de l'ombre
qui fait la lumière, de la lumière qui maîtrise l'ombre.
Sa main a
fait plier l'ombre, l'a pénétrée, l'a écartelée , lui a fait
mettre genou à terre.
Oui Rembrandt et la lumière.
Les trois croix, extrait, eau forte, 2e état.1653
Rembrandt. Le
serviteur. Et c'est parce qu'il se savait serviteur qu'il a peint
jusqu'au bout, jusqu'à la fin dans le dénuement, dans la solitude.
Ni dieu, ni maître, mais serviteur.
Rembrandt aucune
tombe ne porte ton nom.
Le serviteur de
qui ? Pas des saints, ni des dieux, ni des clergés, ni du
pouvoir, ni de l'argent.
Serviteur de la
lumière. Mais qu'est ce donc la lumière en peinture ?
Essayer
d'y répondre ce serait un peu faire la lumière sur sa vie.
Pourquoi
la convoquer, la faire entrer dans sa peintre ? Pourquoi ?
Pour l'éclat ? Pour la parfaite évidence ?
Où la poser,
où la déposer ? Où la verser ?
Il est des lumières
comme des odeurs. Certains parlent d'odeurs, de parfums, là où
d'autres redoutent la puanteur.
Il faut oser imaginer jamais redouter
la réalité.
Puisque lumière est
matière, alors elle doit en supporter toute les louanges, tous les
désordres, toutes les injures.
Éclater ou se rompre.
Lumière froide,
lumière crue, lumière cristal, lumière foudroyante, brûlante
ardente, lumière calme, douce, enveloppante, haletante, lumière
attirante, provocante, impitoyable, lumière accueillante,
bienfaisante, lumière aimante, nue, abondante.
Et si le langage
était celui là. L'amour et la lumière... indissociables. Comme
beauté et vérité. Indissociables. Faisons entrer la bonté et nous
pourrons jeter toutes nos clés….
C'est devant le
tableau de « Titus lisant » que j'ai trouvé Rembrandt.
C'est là que nous
nous sommes rencontrés.
Là où tout s'est
apaisé. La foule, le bruit. Tout s'est apaisé. Il n'y avait plus
de mots, de bras, de têtes, de dos. L'espace devenait. La distance ?
Je m'en foutais. Le rapport ? Disparu.
Alors Titus lisant.
Ce que j'ai vu ? Dans cet espace ?
J'y ai vu ce que la
main d'un homme portée par l'esprit peut adresser à d'autres
hommes : son amour.
J'ai vu qu'il était
possible que la lumière embrasse son sujet.
Si vous allez voir
Titus lisant vous verrez, vous verrez que ,de cette lumière,
Rembrandt en a fait un baiser.
La lumière embrasse le front et plus
légèrement la main de Titus.
Titus était le fils
du peintre. C'est un des plus grands tableaux que j'ai pu voir .
Je n'ai jamais vu la
lumière être de cette façon là. D'une façon aussi simple,
percutante.
Rembrandt a donné
bien plus qu'un corps à la lumière, il lui a donné vie en lui
donnant sa parole.
Bien sur il y en
aura d'autres. D'autres tableaux. D'autres moments d'extase. D'autre
rencontres. Je me le souhaite. Je le sais et le pressens. Mais ce
tableau là , c'est un pas de plus, une rencontre, une pensée. Un
tableau ami.
J'étais venue, je
l'avoue pour les dessins encres, les eaux fortes.
Je me disais, dans mon
insuffisance, je me disais « Rembrandt et la lumière c'est un
peu joué d'avance... »
Oui les lavis, les encres, les
gravures sont admirables.
Rembrandt aimait les hommes, les sans noms,
ceux que l'on nomme « gueux », les enfants, les
servantes, .
Avec humilité, avec raison et avec respect il les a merveilleusement
croqués, saisis, dessinés.
Avec curiosité, il
s'est portraituré. Il a fouillé, trituré sa face. Faisant de son
visage un champ d’exploration. Pourchassant l' émotion pour
formuler le sentiment.
Oui je me disais
: Rembrandt et la lumière c'est un peu chercher la lumière en plein
soleil.
Oui je me disais. J'aurai du me taire.
Écrire. En trait,
en lumière, en touche, en note, écrire ; Peindre c'est écrire.
Et ce que Rembrandt a écrit sur le front de Titus, c'est le début
et la fin de l'histoire. C'est l'infini et le présent, c'est
l'espoir, l'empreinte. Parce que l'empreinte est toujours un espoir.
Bien plus qu'un témoignage. L’empreinte c'est l'espoir de ce qui
fut, et qui justement pourra revenir, parce que cela fut. L'empreinte
c'est l'espoir devenu. L'annonce d'un recommencement. La preuve d'un
début.
La lumière comme le point. En pleine figure.
Alors en embrassant
de sa lumière le front de son fils, Rembrandt embrasse tous les
hommes.
Ce qui est venu,
celui qui est là, et jusqu'à celui qui viendra.
Oui, Rembrandt a
quelque chose de particulier. Une intelligence je crois.
« Cet infini
surhumain entrouvert », écrivait à son sujet, Vincent Van
Gogh à son frère Théo en 1889.
Un geste comme des
lèvres qui tenterait de formuler l'espoir.
Oui, Derain,
Delacroix, Van Gogh, Gauguin, Redon. Rothko...tellement
d'intelligences l'ont approché.
Alors est ce
important de parler de ça ? De dire que sur un linge tendu, une
toile, il existe une empreinte, est-ce important de parler ce
langage là, de ces lèvres posées sur ce front, d'essayer, de
tenter, d'exprimer cette formule ? Je dis : oui.
Oui, c'est
important.
Alors qu'il suffit
parfois d'un seul mot prononcé, et parfois même seulement d'un
regard , d'un silence, pour que l'enfer vienne sur terre, alors oui
un geste comme la lumière de Rembrandt c'est important. Et ce n'est
pas parce que c'est Rembrandt, même si il a bien fallu que Rembrandt
devienne ce qu'il est devenu pour que cette empreinte nous parvienne.
Non ce n'est pas
parce qu'évidement c'est Rembrandt, mais parce que simplement
c'était Rembrandt. Et demain cela sera également.
« C'est un cri
répété par mille sentinelles,
Un ordre renvoyé par mille porte-voix ;
C'est un phare allumé sur mille citadelles,
Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois ! » ainsi parlait Charles Baudelaire de ses phares dont il nous indiquait les lumières.
Un ordre renvoyé par mille porte-voix ;
C'est un phare allumé sur mille citadelles,
Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois ! » ainsi parlait Charles Baudelaire de ses phares dont il nous indiquait les lumières.
« il faut
être mort plusieurs fois pour peindre comme cela » écrivait
encore Vincent Van Gogh au sujet de Rembrandt.
« Le magicien
le prophète » disait Paul Gauguin
« l'éloquence
de l'invisible » disait Émile Bernard.
Rembrandt,
l'intime...
l'intime conviction
que Rothko avait raison en évoquant l' émotionalisme universel
de Rembrandt.
Dans l'intimité de
Rembrandt il y a beaucoup, en nous, au plus profond de nous.
A regarder tous ses
autoportraits, il nous ressemble beaucoup.
Prendre l'ombre et
la lumière, prendre ce qui est grand, ce qui est à genou, ce qui
exulte , ce qui se courbe, et ce qui est silence, ce qui est
obscurité et ce qui est voyance, il faut embrasser le tout. Sans
cela, ni mot, ni matière, aucune trace, aucun devenir, nul souvenir.
Aucune formulation possible. La nuit tomberait en nous.
Paris, le 28
septembre 2016, le jour où j'ai rencontré Rembrandt. Nous nous
retrouverons, c'est prévu.
L'exposition
Rembrandt intime se tient jusqu'au 23 janvier 2017 au musée
Jacquemart- André, à Paris.
Je ne suis plus
vraiment certaine que la vitesse de la lumière puisse se calculer en
mètre seconde.
Peut être que sa vitesse ne peut pas se concevoir,
et que sa valeur n'a d'égal que son intensité.
Ce serait un peu comme un auto-portrait.
09.2016.
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