EDITIONS LIANA LEVI
ISBN 9782867468346
La Perse ,
Hafez de Chiraz, Ispahan..La Perse est en chacun de nous. Nous avons
tous en nous le goût familier des parfums de l'Orient. Notre grand
« imaginier »... Lumière, poésie, jardin, vins et
merveilles, douceurs et miels.
C'est le pays des
mille et une nuits. Passez la grande porte et vous voilà embarqués…
Le pays où la
parole est capable de vous sauver, même si un seul mot est capable de
vous tuer.
C'est la rivière
qui sauve ou le silence de la pierre qui vous tue.
C'est un chant sur
le fil d'un sabre.
Alors...« raconter
, conter, fabuler, mentir dans une société où tout est embûche et
corruption, où le simple fait de sortir acheter une plaquette de
beurre peut virer au cauchemar, c'est rester vivant. C'est déjouer
la peur. Prendre la consolation où elle se trouve, dans la
rencontre, la reconnaissance, dans le frottement de son existence
contre celle de l'autre.C'est aussi l'amadouer, le désarmer,
l'empêcher de nuire.Tandis que le silence, eh bien, c'est fermer les
yeux, se coucher dans a tombe et baisser le couvercle ».
Et Négar Djavadi a
su « belle et bien » donner vie à Kimiâ. Elle a
su lui donner la rapidité et la force de l'esprit. L'intelligence de
l'âme qui se reflète toujours sur les éclats de nos coeurs. C'est
comme cela que l'on garde la lumière.
Kimiâ l'enfant
différente, celle qui voit le jour lorsque Nour entre dans la Nuit.
« Désorientale » c'est une galerie extraordinaire de
portraits. Les grands mères, la mère , les sœurs, le père, les
oncles. « Désorientale » c'est une vision plus nette sur
une partie de l'histoire du moyen orient, mais également celle de la
France, tant nos histoires sont liées.
Nos silences ont été
liés, bien trop souvent, et le sont encore , si souvent,…. il est
temps que certaines paroles soient déliées.
Ce n'est pas sans
une certaine émotion qu'à la lecture de « Désorientale »
j'ai pensé à ce cher libraire parisien, amoureux de littérature,
des livres, de l'esprit des mots, qui fut jadis un jeune homme
étudiant torturé par un régime totalitaire, et qui a dans les yeux
toute la douceur de ceux qui sont restés vivants. Autrement peut
être, mais vivant.
« Je suis
devenue, comme sans doute tous ceux qui ont quitté leur pays, une
autre.Un être qui s'est traduit dans d'autres codes culturels.
D’abord pour survivre, puis pour dépasser la survie et se forger
un avenir. Et comme il est généralement admis que quelque chose se
perd dans la traduction, il n'est pas surprenant que nous ayons
désappris, du moins partiellement, ce que nous étions, pour faire
de la place à ce que nous sommes devenus »
« Désorientale »
c'est également une parole posée sur l'exil. Ce qu'est l'exil.Ce
qu'il peut être. Ce qu'il provoque, convoque, emporte. Nous pouvons
tous nous retrouver dans cette parole. L'exil peut être corporel,
spirituel, temporel. Quitter l'enfance est un exil, quitter le carcan
social, familial est un exil. Question de survie. Voilà sans doute
pourquoi ce livre éveille en beaucoup d'entre nous ce grand
intérêt.
Désorientale c'est
également une parole de liberté. Et c'est important que cette
parole soit portée par Négar Djavadi. Femme, née en Iran, vivant à
Paris, diplômée de l'INSAS de Bruxelles, issue d'une famille
d'intellectuels opposants aux régimes de Shah ET de Khomeiny.
Liberté donc,
liberté de penser, d'écrire, de parler, d'aimer, droit à la
différence. Droit de vivre selon ses choix et non tenter de survivre
misérablement sous leurs lois ; Opposition, révolte,
indignation. Face à l'injustice des « castes »,
l'impérialisme de l'argent, la suprématie des dogmes et des
clergés. Dire non, briser la fatalité, le destin, donner d'autre
mot : espoir, confiance, possible, connaissance, savoir,
vérité lendemain, égalité, beauté.
Prendre la seule
arme possible : prendre son stylo et écrire.
Reprendre le stylo
comme on reprend le flambeau.
« Darius je
pense détestait son père pour lui-même. Parce qu'il incarnait
l'aveuglement et la crainte, la ruine de ce bien précieux qu'est la
pensée(…) toute sa vie, d'abord par ses lectures, puis par son
engagement politique et son réveil révolutionnaire, il combattit
des êtres comme lui,(…) dont l'action principale consiste à
protéger leur pouvoir en maintenant les peuples dans une hiérarchie
sociale sclérosée et l'ignorance absolue d'un autre monde possible.
A plusieurs reprises, j'ai entendu dire que la religion, comme la
tyrannie, asséchait la capacité d'analyse dans le but d'imposer un
unique sentiment : la peur. « La peur est leur arme et la
révolution consiste à la retourner contre eux « ».
Désorientale c'est
un regard tendre et sans concession sur notre société. Toutes nos
sociétés. Désorientées. Que nous croyons pourtant différentes
mais qui se ressemblent tellement.
Ce genre humain qui tremble, qui
aime, qui espère de la même manière. Que l'on égare, que l'on
trompe. Et qui sert toujours la main de ses enfants dans ses mains,
pour ne pas les perdre, ne pas se perdre, et qui écoute le moindre
bruit qui vient du lointain.
Qui prend les mêmes bateaux, que l'on
jette dans les mêmes trains, sur qui on referme les mêmes portes des
camions, ce genre humain qui a la même faim, qui ressent le même
froid, qui craint la même vague, qui rit et rêve de la même façon, qui frappent aux mêmes portes.
Et que 'on fait taire toujours pour les mêmes raisons. Pétrole,
pognon, canon, or ou béton...à vous faire oublier toutes vos chansons.
Et l'écriture de
Négar Djavadi sait rendre hommage à la sororité de nos humanités.
oui qu'attendons nous ? « Et pendant que nous attendons,
par nécessité, besoin, désir ou mimétisme, nous ne nous révoltons
pas. La ruse consiste à détruire chez les individus leur énergie,
leur capacité à réfléchir, à s'opposer. Les réduire à des
objectifs instantanés, aussi fugaces qu'une jouissance. »
« Désorientale »
parle également de nos failles. De nos places dans nos familles. De
ces places qui définissent déjà quelles seront nos places dans la
société . Elle parle de ce qu'est une famille, un couple. De nos
silences, des non dits, de la difficulté d’être soi avant d'être
comme les autres . Elle parle d'exil et d'exclusion, de tolérance
plus que de renoncement, parle d'intégration et désintégration.
Mais tout cela avec la langue de l'espoir, cette terre maternelle :
cet espoir toujours en nous.
Cela nous
interroge également sur les mots d'identité, quelque soient nos
identités, qu' elles soient culturelles, religieuses, sexuelles,
sociales. Et c'est par le prisme du roman que la parole peut se
dérouler avec sincérité, clairvoyance, sans manichéisme enfantin.
C'est avec grande maturité sagesse et humanité que Kimiâ s'adresse
à nous. Et c'est en cela que ce roman est extrêmement bien mené.
Il faut quelque fois des boucliers pour pouvoir vaincre certaines
gorgones. Le roman est dans ce cas un très beau bouclier.
« Désorientale »
parle de tous nos exils, de nos naissances, renaissances, de nos
deuils, de nos défaites, de vos victoires aussi. « rien ne
ressemble plus à l'exil que la naissance ». Alors souvenons
nous. Rappelons nous que nous sommes tous naissants. Tous exilés,
tous fugueurs. Nous revenons tous un jour devant la porte de nos
maisons. Devant nos maisons intérieures celles que nous gardons en
nous toujours quelque soit la tempête de nos saisons. Rappelons nous
chacun de notre porte. Et ouvrons.
Palais du Golestan, Téhéran
Rappelons nous qu'il
faut une mémoire et qu'il faut la préserver. « Au fur et à
mesure, la chair se décompose et ne demeure que le squelette des
impressions autour duquel broder. Viendra sans doute un jour où même
les impressions ne seront plus qu'un souvenir.Il ne restera alors
plus rien à raconter » .
Nous avons tellement
à nous dire. Il reste tellement à raconter.
Rappelons vers nous
notre génie de survie. Cette lampe merveilleuse. Ce merveilleux
"mécanisme de défense »
« Un chien aboie au loin et
annonce la possibilité d'une vie ».
C'est cet instinct
qui nous sauve, l'instinct qui nous fait crier Terre, en nous faisant
toucher le ciel.
Fragilité, cruauté,
trahison, barbarie, pot de fer contre peau de chair verse toujours le
sang.
« le
déracinement avait fait de nous non seulement des étrangers chez
les autres, mais des étrangers les uns pour les autres;On croit
communément que les grandes douleurs resserrent les liens. Ce n'est
pas vrai de l'exil.La survie est une affaire personnelle »
Il en est ainsi de
toute vie, comme de l'intelligence de toute œuvre, de tout récit.
Premier roman de
Négar Djavadi et c'est un très très bel événement.
Générosité,
humanité, densité et bel architecture du récit, qualité
d'écriture, justesse et beauté du dessin des personnages, tout est
là , tout est présent dans ce livre, pour que demain tout cela soit
mis en images. Souhaitons lui la Lumière !
Mosquée Rose de Shiraz, Iran
Négar Djavadi
Astrid Shriqui
Garain, lecture 09.2016
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