mardi 20 septembre 2016

Désorientale, de Négar Djavadi




EDITIONS LIANA LEVI 
ISBN 9782867468346


La Perse , Hafez de Chiraz, Ispahan..La Perse est en chacun de nous. Nous avons tous en nous le goût familier des parfums de l'Orient. Notre grand « imaginier »... Lumière, poésie, jardin, vins et merveilles, douceurs et miels.
C'est le pays des mille et une nuits. Passez la grande porte et vous voilà embarqués…


Le pays où la parole est capable de vous sauver, même si un seul mot est capable de vous tuer.
C'est la rivière qui sauve ou le silence de la pierre qui vous tue.
C'est un chant sur le fil d'un sabre.
Alors...« raconter , conter, fabuler, mentir dans une société où tout est embûche et corruption, où le simple fait de sortir acheter une plaquette de beurre peut virer au cauchemar, c'est rester vivant. C'est déjouer la peur. Prendre la consolation où elle se trouve, dans la rencontre, la reconnaissance, dans le frottement de son existence contre celle de l'autre.C'est aussi l'amadouer, le désarmer, l'empêcher de nuire.Tandis que le silence, eh bien, c'est fermer les yeux, se coucher dans a tombe et baisser le couvercle ».
Et Négar Djavadi a su « belle et bien » donner  vie à Kimiâ. Elle a su lui donner la rapidité et la force de l'esprit. L'intelligence de l'âme qui se reflète toujours sur les éclats de nos coeurs. C'est comme cela que l'on garde la lumière.
Kimiâ l'enfant différente, celle qui voit le jour lorsque Nour entre dans la Nuit. « Désorientale » c'est une galerie extraordinaire de portraits. Les grands mères, la mère , les sœurs, le père, les oncles. « Désorientale » c'est une vision plus nette sur une partie de l'histoire du moyen orient, mais également celle de la France, tant nos histoires sont liées.
Nos silences ont été liés, bien trop souvent, et le sont encore , si souvent,…. il est temps que certaines paroles soient déliées.
Ce n'est pas sans une certaine émotion qu'à la lecture de « Désorientale » j'ai pensé à ce cher libraire parisien, amoureux de littérature, des livres, de l'esprit des mots, qui fut jadis un jeune homme étudiant torturé par un régime totalitaire, et qui a dans les yeux toute la douceur de ceux qui sont restés vivants. Autrement peut être, mais vivant.
« Je suis devenue, comme sans doute tous ceux qui ont quitté leur pays, une autre.Un être qui s'est traduit dans d'autres codes culturels. D’abord pour survivre, puis pour dépasser la survie et se forger un avenir. Et comme il est généralement admis que quelque chose se perd dans la traduction, il n'est pas surprenant que nous ayons désappris, du moins partiellement, ce que nous étions, pour faire de la place à ce que nous sommes devenus »
« Désorientale » c'est également une parole posée sur l'exil. Ce qu'est l'exil.Ce qu'il peut être. Ce qu'il provoque, convoque, emporte. Nous pouvons tous nous retrouver dans cette parole. L'exil peut être corporel, spirituel, temporel. Quitter l'enfance est un exil, quitter le carcan social, familial est un exil. Question de survie. Voilà sans doute pourquoi ce livre éveille en beaucoup d'entre nous ce grand intérêt.
Désorientale c'est également une parole de liberté. Et c'est important que cette parole soit portée par Négar Djavadi. Femme, née en Iran, vivant à Paris, diplômée de l'INSAS de Bruxelles, issue d'une famille d'intellectuels opposants aux régimes de Shah ET de Khomeiny.
Liberté donc, liberté de penser, d'écrire, de parler, d'aimer, droit à la différence. Droit de vivre selon ses choix et non tenter de survivre misérablement sous leurs lois ; Opposition, révolte, indignation. Face à l'injustice des «  castes », l'impérialisme de l'argent, la suprématie des dogmes et des clergés. Dire non, briser la fatalité, le destin, donner d'autre mot : espoir, confiance, possible, connaissance, savoir, vérité lendemain, égalité, beauté. 






Prendre la seule arme possible : prendre son stylo et écrire. 

Reprendre le stylo comme on reprend le flambeau.

« Darius je pense détestait son père pour lui-même. Parce qu'il incarnait l'aveuglement et la crainte, la ruine de ce bien précieux qu'est la pensée(…) toute sa vie, d'abord par ses lectures, puis par son engagement politique et son réveil révolutionnaire, il combattit des êtres comme lui,(…) dont l'action principale consiste à protéger leur pouvoir en maintenant les peuples dans une hiérarchie sociale sclérosée et l'ignorance absolue d'un autre monde possible. A plusieurs reprises, j'ai entendu dire que la religion, comme la tyrannie, asséchait la capacité d'analyse dans le but d'imposer un unique sentiment  : la peur. « La peur est leur arme et la révolution consiste à la retourner contre eux « ».

Désorientale c'est un regard tendre et sans concession sur notre société. Toutes nos sociétés. Désorientées. Que nous croyons pourtant différentes mais qui se ressemblent tellement. 
Ce genre humain qui tremble, qui aime, qui espère de la même manière. Que l'on égare, que l'on trompe. Et qui sert toujours la main de ses enfants dans ses mains, pour ne pas les perdre, ne pas se perdre, et qui écoute le moindre bruit qui vient du lointain. 
Qui prend les mêmes bateaux, que l'on jette dans les mêmes trains, sur qui on referme les mêmes portes des camions, ce genre humain qui a la même faim, qui ressent le même froid, qui craint la même vague, qui rit et rêve de la même façon, qui frappent aux mêmes portes.
 Et que 'on fait taire toujours pour les mêmes raisons. Pétrole, pognon, canon, or ou béton...à vous faire oublier toutes vos chansons.

Et l'écriture de Négar Djavadi sait rendre hommage à la sororité de nos humanités. oui qu'attendons nous ? «  Et pendant que nous attendons, par nécessité, besoin, désir ou mimétisme, nous ne nous révoltons pas. La ruse consiste à détruire chez les individus leur énergie, leur capacité à réfléchir, à s'opposer. Les réduire à des objectifs instantanés, aussi fugaces qu'une jouissance. »

« Désorientale » parle également de nos failles. De nos places dans nos familles. De ces places qui définissent déjà quelles seront nos places dans la société . Elle parle de ce qu'est une famille, un couple. De nos silences, des non dits, de la difficulté d’être soi avant d'être comme les autres . Elle parle d'exil et d'exclusion, de tolérance plus que de renoncement, parle d'intégration et désintégration. Mais tout cela avec la langue de l'espoir, cette terre maternelle : cet espoir toujours en nous.
Cela nous interroge également sur les mots d'identité, quelque soient nos identités, qu' elles soient culturelles, religieuses, sexuelles, sociales. Et c'est par le prisme du roman que la parole peut se dérouler avec sincérité, clairvoyance, sans manichéisme enfantin. C'est avec grande maturité sagesse et humanité que Kimiâ s'adresse à nous. Et c'est en cela que ce roman est extrêmement bien mené. Il faut quelque fois des boucliers pour pouvoir vaincre certaines gorgones. Le roman est dans ce cas un très beau bouclier.

« Désorientale » parle de tous nos exils, de nos naissances, renaissances, de nos deuils, de nos défaites, de vos victoires aussi. «  rien ne ressemble plus à l'exil que la naissance ». Alors souvenons nous. Rappelons nous que nous sommes tous naissants. Tous exilés, tous fugueurs. Nous revenons tous un jour devant la porte de nos maisons. Devant nos maisons intérieures celles que nous gardons en nous toujours quelque soit la tempête de nos saisons. Rappelons nous chacun de notre porte. Et ouvrons. 


Palais du Golestan, Téhéran 
Rappelons nous qu'il faut une mémoire et qu'il faut la préserver. « Au fur et à mesure, la chair se décompose et ne demeure que le squelette des impressions autour duquel broder. Viendra sans doute un jour où même les impressions ne seront plus qu'un souvenir.Il ne restera alors plus rien à raconter » .

Nous avons tellement à nous dire. Il reste tellement à raconter. 

Rappelons vers nous notre génie de survie. Cette lampe merveilleuse. Ce merveilleux "mécanisme de défense » 

« Un chien aboie au loin et annonce la possibilité d'une vie ».

C'est cet instinct qui nous sauve, l'instinct qui nous fait crier Terre, en nous faisant toucher le ciel.

Fragilité, cruauté, trahison, barbarie, pot de fer contre peau de chair verse toujours le sang.
« le déracinement avait fait de nous non seulement des étrangers chez les autres, mais des étrangers les uns pour les autres;On croit communément que les grandes douleurs resserrent les liens. Ce n'est pas vrai de l'exil.La survie est une affaire personnelle »
Il en est ainsi de toute vie, comme de l'intelligence de toute œuvre, de tout récit.
Premier roman de Négar Djavadi et c'est un très très bel événement.
Générosité, humanité, densité et bel architecture du récit, qualité d'écriture, justesse et beauté du dessin des personnages, tout est là , tout est présent dans ce livre, pour que demain tout cela soit mis en images. Souhaitons lui la Lumière !


 Mosquée Rose de Shiraz, Iran 

Négar Djavadi




Astrid Shriqui Garain, lecture 09.2016 







Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire