jeudi 29 septembre 2016

Le noir est une couleur, Grisélidis Réal








« Cette histoire est écrite à la mémoire et à la gloire de Rodwell, mon amant noir qui vit à Chicago dans la Michigan Avenue, au quartier nègre. 

"En Amérique, dit Rodwell, on tue nos âmes."

La paix soit à son corps, et que l'épargne au sein des émeutes le délire imbécile et jaloux des Blancs à tête de singe.

Que son grand sexe velouté, que j'ai tenu dans mes mains blanches, pareil à un lys noir tressaillant, fasse crier d'amour les négresses luisantes, et qu'il dresse leurs seins comme des lunes de bronze.

Car je marcherais pieds nus à travers toute la terre, je sentirais avec délice les épines s’enfoncer dans ma chair, les sables me brûler et les cristaux de neige m'écorcher comme des couteaux, si je pouvais sentir encore en moi sa tige de feu me défoncer le ventre, tornade brûlante de l'amour noir.

Oui, nous nous sommes aimés, nous nous sommes drogués, nous nous sommes anéantis dans les cris rauques du jazz. Je suis vide. Ton absence m'est la plus précieuse. Ta chair bleuit le soir à ma fenêtre et s'assombrit tout entière, refermant sur moi sa coupole constellée de sueurs d'or. Je suis toi. Je n'ai pas d'autre chant que ton nom sur mes lèvres. »


Voici une des plus belle lettre d'amour qui vous sera donnée de lire.
C'est Grisélidis et Rodwell. C'est un amour. C'est le seul fruit qui protège l'arbre.
Grisélidis Réal, peintre, écrivain, prostituée. Mère de quatre enfants. Une princesse tzigane. 





Une reine. Pas une sainte. Ah ça non !!!  , sans doute se serait- elle écriée.
 Une femme du genre... rebelle. 
Hors la loi, pour ceux qui écrivent les lois. 
Elle , comme Libre pour ceux qui suivent les étoiles. 
Je repense aux saintes du scandale d'Erri de Luca.
Il y a un peu de ça je crois. 
Païenne, profane, une âme, une force animiste, une source. Quelque chose de tellurique, d'ancestrale, de tribal. 

Grisélidis est une femme mythique. Belle, flamboyante, extravagante, espiègle, rusée, bouleversante, une femme louve, une mère lionne. 
Oui elle se prostitue, et le revendique dans ce Munich d'après guerre, dans cette Europe ravagée, dans ce pays de nuit et de brouillard, elle danse, elle jazz, elle aime, elle accueille dans son ventre toutes les fleuves, tous les torrents, toutes le larmes. 

Elle sait le froid, le manque, elle sait la solitude, elle sait le partage, la peur, et l'innocence.  Elle sait la colère, l'injustice. 

Elle ne ment pas, ne vole pas, ne fais de mal à personne. Elle défend celle ou celui qui doit être défendu., peu importe son statut. Toute sa vie elle défendra les droits des prostituées. Elle connaissait cet enfer, elle combattait l'hypocrisie d'une société soumis à l'ordre religieux et bourgeois.

On la montre du doigt. On la croit perdue, incurable, incapable, de si basses vertus. 

Et elle vit, elle crée, elle vit, elle résiste. 

Elle marche sur le trait. «  Un trait, une corde, une ligne de douleur qui parcourt le monde et sur laquelle nous marchons toutes. Une sorte d'équateur invisible, qui traverse la terre et nous écorche les pieds et l'âme. "

Auf den Stricht.

Dans ce monde capable d'exterminer des êtres humains, elle vit en choisissant son chemin, en choisissant de vivre parmi ceux qu'elle a choisi pour être siens. 

Ceux dont le «  coeur faisait fondre l'hiver ».

«  Sonja, le son de ta voix rocailleuse résonne à mon oreille, ton sourire est en moi, il m'habite. Ton ventre tant de fois gonflé et brûlé par les mater,ités et ls maladies, sous son petit tablier, c'est le ventre de toutes les femmes tziganes déportées dont les noms oubliés sont chuchotés aux portes des anciens camps, sur les chardons, les pierres et les vieux barbelés enfoncés dans le sol des terrains vagues, les soirs de grand vent ».

Celles et ceux qui n'ont qu'un seul pays, qu 'une seule patrie, qu'une seule identité  : l'humain. L'humain avant tout. 

«  Moi, je suis de race gitane.J'aime la nuit et son haleine invisible qui donne à l'univers son espace sans limites. » 



 C'est une écriture, objet de  littérature. Une relle écriture. 
C'est un témoignage,aussi,  un récit autobiographique. C'est également la radioscopie de cette société qui après guerre alors que le monde avait basculer dans la barbarie, alors qu'il venait d'en sortir et cela de justesse, ce monde n'avait de cesse que de reprendre ses méchantes habitudes. Dicter sa morale, ses lois, interdire, enfermer, surveiller, ficher, dénoncer, cadenasser, .

Un monde avec des armées, ses polices, ses prisons et sa morale , un monde qui n'avait rien compris à ce qui s'était passer. Un monde incapable de retenir la moindre leçon et qui se précipitait à en redonner et cela même devant les charniers qu'il avait lui même dressé. Un monde qui n'en finira jamais de dresser des murs. 
 Un monde qui ne cessait de vouloir recommencer. Car si la prostitution est un délit, la guerre elle est un crime contre l'humanité. 
Les putes ont les jettent en prison, les généraux on les décorent. Chercher l'error mon « saigne-or »….

Soyons conscients comme l'était Victor Hugo  que «  La misère offre, la société accepte ».
La société est grosse et pleine de ses propres délits. Ici les clients sont aussi les marchands.

Alors oui elle est belle. Son écriture est belle. Parce qu'elle est vraie.
Sa peinture nous parle. Elle nous parle de la nuit, de la première nuit, de la première étoile.
Grisélidis Réal est enterrée au cimetière des Rois à Genève. 
Certains rois ont à présent une Reine.









Astrid Shriqui Garain, 09.2016, lecture.

Titus lisant, Rembrandt.



Titus lisant ( 1656-1658),de  Rembrandt van Rijn. 



28 septembre 2016 . Paris. Musée Jacquemart-André .
Une nouvelle fois. 
Qu'est ce que je fais là ? Qu'est ce que je viens y faire ? 
Qu'est ce que j'y cherche ? 
Est ce que j'y cherche réellement quelque chose ? Qu'est ce que je regarde ? Qu'est ce que je dois y voir ? 
Qu'est ce qui s'y cache, s'y niche, qu'est ce qui n'est plus là, perdu ? disparu ?

Le trop. Le trop de monde, trop de bruit. Le trop de tableaux, d'images, de lumières, trop de phrases, de verbes. Trop de lustres, de beauté, de chefs d’œuvre. Trop. Parfois.

Pas assez, pas assez d'exemples, pas assez de tissages, de croisements, pas assez d'éléments, de juxtapositions, pas assez de confrontations, pas assez de lettres , de contrastes, de torsions, d'affrontements. impossibles mots. pas assez. Toujours.

Galeries, salles, couloirs, une fois passer les groupes , prendre l'escalier.

Des pas , des visages, des galeries, des marches, des yeux, des bouches.
Je ne vois pas. Je n'entends rien. Je ne suis pas là pour entendre ça. J'ai rendez vous. Rendez vous avec une empreinte, une empreinte laissée par une main il y a des siècles.
 Pas sur les parois d'une grotte, pas dans l'écorce d'un arbre, pas cette fois là.

Ici tout est luxe ,
tout n'est pas calme, quant à la volupté...Sait-on encore sur quel sofa elle s'est abandonnée ?… mais là sans doute n'est plus le sujet.

Alors donc la peinture. L'image peinte. Qui devient parfois, avec le temps, avec le génie, avec le chaos de l'histoire, cette image qui en deviendrait presque sainte.

Rembrandt par exemple. Rembrandt. Un maître. Un presque dieu. Une icône, peint par lui même.

Mais on ne connaît jamais la main. L'esprit peut être. Mais jamais la main. A peine est on capable de saisir un regard. L'ombre à regret. 
 


 les yeux de Rembrandt, extrait d'un de ses auto-portraits .


«  prendre un Rembrandt comme planche à repasser », disait Marcel Duchamp. Ou de salut ?.... allez savoir. On ne sait jamais. 

Un Rembrandt, un objet ? Quelque que chose de grand . Une hypothèse. Ou quelque chose d 'utile, d'important pour l'oiseau allait lui répondre Prévert. 





Rembrandt. Je connaissais son nom, pas l’œuvre. Pas son cheminement. Pas son exact demeure. Pas son adresse. Et je ne connais toujours pas Rembrandt. Même si je l'ai rencontré. 

Alors Rembrandt et ses amours.


Portrait de Hendrickje Stoffels  
 

 Rembrandt et l'amour. Parce que oui Rembrandt a quelque chose de spécial. Oui il est le peintre de la lumière, de l'ombre qui fait la lumière, de la lumière qui maîtrise l'ombre.
Sa main a fait plier l'ombre, l'a pénétrée, l'a écartelée , lui a fait mettre genou à terre. 

Oui Rembrandt et la lumière. 



Les trois croix, extrait, eau forte, 2e état.1653
 
 
Rembrandt. Le serviteur. Et c'est parce qu'il se savait serviteur qu'il a peint jusqu'au bout, jusqu'à la fin dans le dénuement, dans la solitude. Ni dieu, ni maître, mais serviteur.

Rembrandt aucune tombe ne porte ton nom. 

Le serviteur de qui ? Pas des saints, ni des dieux, ni des clergés, ni du pouvoir, ni de l'argent.

Serviteur de la lumière. Mais qu'est ce donc la lumière en peinture ? 
Essayer d'y répondre ce serait  un peu faire la lumière sur sa vie. 

Pourquoi la convoquer, la faire entrer dans sa peintre ? Pourquoi ? Pour l'éclat ? Pour la parfaite évidence ? 

Où la poser, où la déposer ? Où la verser ? 

Il est des lumières comme des odeurs. Certains parlent d'odeurs, de parfums, là où d'autres redoutent la puanteur. 

Il faut oser imaginer jamais redouter la réalité. 

Puisque lumière est matière, alors elle doit en supporter toute les louanges, tous les désordres, toutes les injures. 
Éclater ou se rompre. 

Lumière froide, lumière crue, lumière cristal, lumière foudroyante, brûlante ardente, lumière calme, douce, enveloppante, haletante, lumière attirante, provocante, impitoyable, lumière accueillante, bienfaisante, lumière aimante, nue, abondante.

Et si le langage était celui là. L'amour et la lumière... indissociables. Comme beauté et vérité. Indissociables. Faisons entrer la bonté et nous pourrons jeter toutes nos clés….

C'est devant le tableau de « Titus lisant » que j'ai trouvé Rembrandt.
C'est là que nous nous sommes rencontrés.
Là où tout s'est apaisé. La foule, le bruit. Tout s'est apaisé. Il n'y avait plus de mots, de bras, de têtes, de dos. L'espace devenait. La distance ? Je m'en foutais. Le rapport ? Disparu. 

Alors Titus lisant. Ce que j'ai vu ? Dans cet espace ?
J'y ai vu ce que la main d'un homme portée par l'esprit peut adresser à d'autres hommes : son amour. 

J'ai vu qu'il était possible que la lumière embrasse son sujet.

Si vous allez voir Titus lisant vous verrez, vous verrez que ,de cette lumière, Rembrandt en a fait un baiser. 

La lumière embrasse le front et plus légèrement la main de Titus.

Titus était le fils du peintre. C'est un des plus grands tableaux que j'ai pu voir .

Je n'ai jamais vu la lumière être de cette façon là. D'une façon aussi simple, percutante.

Rembrandt a donné bien plus qu'un corps à la lumière, il lui a donné vie en lui donnant sa parole. 

Bien sur il y en aura d'autres. D'autres tableaux. D'autres moments d'extase. D'autre rencontres. Je me le souhaite. Je le sais et le pressens. Mais ce tableau là , c'est un pas de plus, une rencontre, une pensée. Un tableau ami.

J'étais venue, je l'avoue pour les dessins encres, les eaux fortes.






 Je me disais, dans mon insuffisance, je me disais « Rembrandt et la lumière c'est un peu joué d'avance... » 

Oui les lavis, les encres, les gravures sont admirables. 

Rembrandt aimait les hommes, les sans noms, ceux que l'on nomme « gueux », les enfants, les servantes, .

 Avec humilité, avec raison  et avec respect il les a merveilleusement croqués, saisis, dessinés. 

Avec curiosité, il s'est portraituré. Il a fouillé, trituré sa face. Faisant de son visage un champ d’exploration. Pourchassant l' émotion pour formuler le sentiment.

Oui je me disais : Rembrandt et la lumière c'est un peu chercher la lumière en plein soleil.
 Oui je me disais. J'aurai du me taire.

Écrire. En trait, en lumière, en touche, en note, écrire ; Peindre c'est écrire. 

Et ce que Rembrandt a écrit sur le front de Titus, c'est le début et la fin de l'histoire. C'est l'infini et le présent, c'est l'espoir, l'empreinte. Parce que l'empreinte est toujours un espoir. Bien plus qu'un témoignage. L’empreinte c'est l'espoir de ce qui fut, et qui justement pourra revenir, parce que cela fut. L'empreinte c'est l'espoir devenu. L'annonce d'un recommencement. La preuve d'un début. 
La lumière comme le point. En pleine figure. 

Alors en embrassant de sa lumière le front de son fils, Rembrandt embrasse tous les hommes.
Ce qui est venu, celui qui est là, et jusqu'à celui qui viendra.
Oui, Rembrandt a quelque chose de particulier. Une intelligence je crois.

« Cet infini surhumain entrouvert », écrivait à son sujet, Vincent Van Gogh à son frère Théo en 1889.

Un geste comme des lèvres qui tenterait de formuler l'espoir.

Oui, Derain, Delacroix, Van Gogh, Gauguin, Redon. Rothko...tellement d'intelligences l'ont approché.

Alors est ce important de parler de ça ? De dire que sur un linge tendu, une toile, il existe une empreinte, est-ce important de parler ce langage là, de ces lèvres posées sur ce front, d'essayer, de tenter, d'exprimer cette formule ? Je dis : oui. 

Oui, c'est important.

Alors qu'il suffit parfois d'un seul mot prononcé, et parfois même seulement d'un regard , d'un silence, pour que l'enfer vienne sur terre, alors oui un geste comme la lumière de Rembrandt c'est important. Et ce n'est pas parce que c'est Rembrandt, même si il a bien fallu que Rembrandt devienne ce qu'il est devenu pour que cette empreinte nous parvienne.
Non ce n'est pas parce qu'évidement c'est Rembrandt, mais parce que simplement c'était Rembrandt. Et demain cela sera également.

« C'est un cri répété par mille sentinelles,
Un ordre renvoyé par mille porte-voix ;
C'est un phare allumé sur mille citadelles,
Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois ! » ainsi parlait Charles Baudelaire de ses phares dont il nous indiquait les lumières.

«  il faut être mort plusieurs fois pour peindre comme cela » écrivait encore Vincent Van Gogh au sujet de Rembrandt.

« Le magicien le prophète »  disait Paul Gauguin

«  l'éloquence de l'invisible » disait Émile Bernard.
Rembrandt, l'intime...

l'intime conviction que Rothko avait raison en évoquant l' émotionalisme universel  de Rembrandt.


Dans l'intimité de Rembrandt il y a beaucoup, en nous, au plus profond de nous.
A regarder tous ses autoportraits, il nous ressemble beaucoup.
Prendre l'ombre et la lumière, prendre ce qui est grand, ce qui est à genou, ce qui exulte , ce qui se courbe, et ce qui est silence, ce qui est obscurité et ce qui est voyance, il faut embrasser le tout. Sans cela, ni mot, ni matière, aucune trace, aucun devenir, nul souvenir. Aucune formulation possible. La nuit tomberait en nous. 

Paris, le 28 septembre 2016, le jour où j'ai rencontré Rembrandt. Nous nous retrouverons, c'est prévu.

L'exposition Rembrandt intime se tient jusqu'au 23 janvier 2017 au musée Jacquemart- André, à Paris.



Je ne suis plus vraiment certaine que la vitesse de la lumière puisse se calculer en mètre seconde.

Peut être que sa vitesse ne peut pas se concevoir, 
et que sa valeur n'a d'égal que son intensité.   
Ce serait un peu comme un auto-portrait.



09.2016.





jeudi 22 septembre 2016

L'heure au scorpion




La Nymphe au scorpion  - Oeuvre de Lorenzo Bartolini (1845) 
Photographie :  Y Lemeur, musée du Louvre Paris





L'heure au scorpion 




Une main posée sur un ventre de marbre                          
tenait l'horloge de son orfèvrerie.     

                         
         
Il semblait forge, elle était flamme,                                     
Il était large, elle semblait voile.


Les mots étaient d'écume et leur vague de face. 


Cette main battait aux portes de son âme.    
                          

Une beauté répondait au brame                                                    
et le ciel perdait son regard de sable. 


La beauté dans une main                                                              
et cet automne peut être aussi rond que le diable.







Astrid Shriqui Garain, 09.2016 





 

mardi 20 septembre 2016

Désorientale, de Négar Djavadi




EDITIONS LIANA LEVI 
ISBN 9782867468346


La Perse , Hafez de Chiraz, Ispahan..La Perse est en chacun de nous. Nous avons tous en nous le goût familier des parfums de l'Orient. Notre grand « imaginier »... Lumière, poésie, jardin, vins et merveilles, douceurs et miels.
C'est le pays des mille et une nuits. Passez la grande porte et vous voilà embarqués…


Le pays où la parole est capable de vous sauver, même si un seul mot est capable de vous tuer.
C'est la rivière qui sauve ou le silence de la pierre qui vous tue.
C'est un chant sur le fil d'un sabre.
Alors...« raconter , conter, fabuler, mentir dans une société où tout est embûche et corruption, où le simple fait de sortir acheter une plaquette de beurre peut virer au cauchemar, c'est rester vivant. C'est déjouer la peur. Prendre la consolation où elle se trouve, dans la rencontre, la reconnaissance, dans le frottement de son existence contre celle de l'autre.C'est aussi l'amadouer, le désarmer, l'empêcher de nuire.Tandis que le silence, eh bien, c'est fermer les yeux, se coucher dans a tombe et baisser le couvercle ».
Et Négar Djavadi a su « belle et bien » donner  vie à Kimiâ. Elle a su lui donner la rapidité et la force de l'esprit. L'intelligence de l'âme qui se reflète toujours sur les éclats de nos coeurs. C'est comme cela que l'on garde la lumière.
Kimiâ l'enfant différente, celle qui voit le jour lorsque Nour entre dans la Nuit. « Désorientale » c'est une galerie extraordinaire de portraits. Les grands mères, la mère , les sœurs, le père, les oncles. « Désorientale » c'est une vision plus nette sur une partie de l'histoire du moyen orient, mais également celle de la France, tant nos histoires sont liées.
Nos silences ont été liés, bien trop souvent, et le sont encore , si souvent,…. il est temps que certaines paroles soient déliées.
Ce n'est pas sans une certaine émotion qu'à la lecture de « Désorientale » j'ai pensé à ce cher libraire parisien, amoureux de littérature, des livres, de l'esprit des mots, qui fut jadis un jeune homme étudiant torturé par un régime totalitaire, et qui a dans les yeux toute la douceur de ceux qui sont restés vivants. Autrement peut être, mais vivant.
« Je suis devenue, comme sans doute tous ceux qui ont quitté leur pays, une autre.Un être qui s'est traduit dans d'autres codes culturels. D’abord pour survivre, puis pour dépasser la survie et se forger un avenir. Et comme il est généralement admis que quelque chose se perd dans la traduction, il n'est pas surprenant que nous ayons désappris, du moins partiellement, ce que nous étions, pour faire de la place à ce que nous sommes devenus »
« Désorientale » c'est également une parole posée sur l'exil. Ce qu'est l'exil.Ce qu'il peut être. Ce qu'il provoque, convoque, emporte. Nous pouvons tous nous retrouver dans cette parole. L'exil peut être corporel, spirituel, temporel. Quitter l'enfance est un exil, quitter le carcan social, familial est un exil. Question de survie. Voilà sans doute pourquoi ce livre éveille en beaucoup d'entre nous ce grand intérêt.
Désorientale c'est également une parole de liberté. Et c'est important que cette parole soit portée par Négar Djavadi. Femme, née en Iran, vivant à Paris, diplômée de l'INSAS de Bruxelles, issue d'une famille d'intellectuels opposants aux régimes de Shah ET de Khomeiny.
Liberté donc, liberté de penser, d'écrire, de parler, d'aimer, droit à la différence. Droit de vivre selon ses choix et non tenter de survivre misérablement sous leurs lois ; Opposition, révolte, indignation. Face à l'injustice des «  castes », l'impérialisme de l'argent, la suprématie des dogmes et des clergés. Dire non, briser la fatalité, le destin, donner d'autre mot : espoir, confiance, possible, connaissance, savoir, vérité lendemain, égalité, beauté. 






Prendre la seule arme possible : prendre son stylo et écrire. 

Reprendre le stylo comme on reprend le flambeau.

« Darius je pense détestait son père pour lui-même. Parce qu'il incarnait l'aveuglement et la crainte, la ruine de ce bien précieux qu'est la pensée(…) toute sa vie, d'abord par ses lectures, puis par son engagement politique et son réveil révolutionnaire, il combattit des êtres comme lui,(…) dont l'action principale consiste à protéger leur pouvoir en maintenant les peuples dans une hiérarchie sociale sclérosée et l'ignorance absolue d'un autre monde possible. A plusieurs reprises, j'ai entendu dire que la religion, comme la tyrannie, asséchait la capacité d'analyse dans le but d'imposer un unique sentiment  : la peur. « La peur est leur arme et la révolution consiste à la retourner contre eux « ».

Désorientale c'est un regard tendre et sans concession sur notre société. Toutes nos sociétés. Désorientées. Que nous croyons pourtant différentes mais qui se ressemblent tellement. 
Ce genre humain qui tremble, qui aime, qui espère de la même manière. Que l'on égare, que l'on trompe. Et qui sert toujours la main de ses enfants dans ses mains, pour ne pas les perdre, ne pas se perdre, et qui écoute le moindre bruit qui vient du lointain. 
Qui prend les mêmes bateaux, que l'on jette dans les mêmes trains, sur qui on referme les mêmes portes des camions, ce genre humain qui a la même faim, qui ressent le même froid, qui craint la même vague, qui rit et rêve de la même façon, qui frappent aux mêmes portes.
 Et que 'on fait taire toujours pour les mêmes raisons. Pétrole, pognon, canon, or ou béton...à vous faire oublier toutes vos chansons.

Et l'écriture de Négar Djavadi sait rendre hommage à la sororité de nos humanités. oui qu'attendons nous ? «  Et pendant que nous attendons, par nécessité, besoin, désir ou mimétisme, nous ne nous révoltons pas. La ruse consiste à détruire chez les individus leur énergie, leur capacité à réfléchir, à s'opposer. Les réduire à des objectifs instantanés, aussi fugaces qu'une jouissance. »

« Désorientale » parle également de nos failles. De nos places dans nos familles. De ces places qui définissent déjà quelles seront nos places dans la société . Elle parle de ce qu'est une famille, un couple. De nos silences, des non dits, de la difficulté d’être soi avant d'être comme les autres . Elle parle d'exil et d'exclusion, de tolérance plus que de renoncement, parle d'intégration et désintégration. Mais tout cela avec la langue de l'espoir, cette terre maternelle : cet espoir toujours en nous.
Cela nous interroge également sur les mots d'identité, quelque soient nos identités, qu' elles soient culturelles, religieuses, sexuelles, sociales. Et c'est par le prisme du roman que la parole peut se dérouler avec sincérité, clairvoyance, sans manichéisme enfantin. C'est avec grande maturité sagesse et humanité que Kimiâ s'adresse à nous. Et c'est en cela que ce roman est extrêmement bien mené. Il faut quelque fois des boucliers pour pouvoir vaincre certaines gorgones. Le roman est dans ce cas un très beau bouclier.

« Désorientale » parle de tous nos exils, de nos naissances, renaissances, de nos deuils, de nos défaites, de vos victoires aussi. «  rien ne ressemble plus à l'exil que la naissance ». Alors souvenons nous. Rappelons nous que nous sommes tous naissants. Tous exilés, tous fugueurs. Nous revenons tous un jour devant la porte de nos maisons. Devant nos maisons intérieures celles que nous gardons en nous toujours quelque soit la tempête de nos saisons. Rappelons nous chacun de notre porte. Et ouvrons. 


Palais du Golestan, Téhéran 
Rappelons nous qu'il faut une mémoire et qu'il faut la préserver. « Au fur et à mesure, la chair se décompose et ne demeure que le squelette des impressions autour duquel broder. Viendra sans doute un jour où même les impressions ne seront plus qu'un souvenir.Il ne restera alors plus rien à raconter » .

Nous avons tellement à nous dire. Il reste tellement à raconter. 

Rappelons vers nous notre génie de survie. Cette lampe merveilleuse. Ce merveilleux "mécanisme de défense » 

« Un chien aboie au loin et annonce la possibilité d'une vie ».

C'est cet instinct qui nous sauve, l'instinct qui nous fait crier Terre, en nous faisant toucher le ciel.

Fragilité, cruauté, trahison, barbarie, pot de fer contre peau de chair verse toujours le sang.
« le déracinement avait fait de nous non seulement des étrangers chez les autres, mais des étrangers les uns pour les autres;On croit communément que les grandes douleurs resserrent les liens. Ce n'est pas vrai de l'exil.La survie est une affaire personnelle »
Il en est ainsi de toute vie, comme de l'intelligence de toute œuvre, de tout récit.
Premier roman de Négar Djavadi et c'est un très très bel événement.
Générosité, humanité, densité et bel architecture du récit, qualité d'écriture, justesse et beauté du dessin des personnages, tout est là , tout est présent dans ce livre, pour que demain tout cela soit mis en images. Souhaitons lui la Lumière !


 Mosquée Rose de Shiraz, Iran 

Négar Djavadi




Astrid Shriqui Garain, lecture 09.2016 







vendredi 16 septembre 2016

La cas du hasard, Erri de Luca, Paolo Sassone-Corsi









Tout est vision. Vision du proche et du lointain, du dedans et du dehors, des cimes et des abysses, du jour et de la nuit, du silence et du bruit, du monde et de l'homme. 

L'un est scientifique , spécialiste de la biologie moléculaire, 
l'autre est écrivain, poète. 

Tous deux être humains, tous deux napolitains.
Amis, amis sur le grand chemin.
Amitié donc entre ces hommes et également avec une femme, Emiliana Borrelli
scientifique également.

Et c'est dans le cercle de cette amitié qu'ils correspondent. 




 © Eric Bourret, photographie 

Comprendre le monde c'est comprendre les hommes. 

Serions nous le reflet de ce qui nous dépasse ? 
Ou ce qui nous surpasse est il la projection de notre image ?

Pour penser ainsi, imaginer tous les possibles il faut d'abord reconnaître à l'homme sa nature d' être libre. Erasthothène, Copernic, Giordano Bruno étaient « outside the box ». 

« De temps en temps, je passe un chiffon sous mon lit. J'y trouve la poussière enroulée en boucles et en spirales, la figure parfaite des galaxies vues au télescope. La coïncidence de formes entre l'immense et le minuscule m'attire. Un amas d'étoiles reproduit celui d'un rouleau de poussière. » 
Infiniment grand, infiniment petit. 

Deux mètres d'ADN...une galaxie. Lorsque nos cellules se touchent combien de mondes se tutoient ? 

Vision des sciences, vision poétique de nos espaces.

« L'ADN est une prophétie. Elle est écrite , mais ne peut être appliquée ». 
Par le choix, l'homme change le cours de son histoire continuellement. 
L'homme, cet instable fait nature.

Ce qui est écrit dans l'ADN est donc d'une importance fondamentale, mais ce que les cellules de notre corps utilisent pour lire la partition est essentiel pour donner ce que les biologistes appellent « la plasticité du génome ».
Notre ADN est comme un moule qui prend diverses formes selon les étapes de notre développement.
99.9 % de sa matière nous est commune à tous. Mais chacun interprétera sa lecture.
Histoire, émotions, événements, accidents, joies et douleurs rencontrées donnent « forme » à notre ADN.
« Ainsi, les décisions sociales, politiques, affectives sont déterminées par des convictions qui ne sont écrites dans l'ADN, mais qui sont produites par la plasticité du génome. »

La plasticité du génom nous offre «  un vaste espace de liberté du comportement ».

Infiniment grand , infiniment petit. Infiniment loin.

Hasard, probabilité, inné, acquis, possible….
Combien de chances pour que la vie apparaisse ? Qu'elle progresse ? … Qu'elle subsiste ?...Qu'elle se développe ?

Rien n'est écrit définitivement. Tout est en mouvement.

Expansion de l'univers, expansion de la vie.
De toute vie.

L'homme réalise qu'il n'est pas seul au monde. Tout concorde pour que  la grande partition du monde soit jouée. Du désert à la banquise , des profondeurs des océans, du fond des plus épaisses forets. Tout Vie, tous participent. 

Interaction, adéquation, A quel point que l'infra rejoint-il le supra ? 

Nous sommes Capteur de système solaire. Des structures moléculaires dans chaque cellule reçoivent des signaux. La nuit le jour , nous recevons. Nos cellules savent la nuit, savent le jour.
Notre rythme naturel est basé sur un cycle. 

« astronomie et biologie «  sont liées. 

«  En août, couché sur le toit dune maison d'un île, j'ai senti sur moi le poids de l’univers grand ouvert.Il pesait dans ma respiration, il pénétrait par mon nez et mes yeux, il tournait dans mon corps de mes cheveux à mes pieds. La nuit grande ouverte au-dessus de moi envoyait sur la Terre une énergie, différente de celle du Soleil, mais tout aussi forte.Mon corps fatigué d'avoir nagé, rassasié de poisson, s'en abreuvait.Qu'est donc la nuit pour le corps ? »

La nuit ce silence de lumière. Lumière composée de photons. Ces particules voyagent à trois cent mille kilomètres par seconde. La lumière du Soleil met 8 minutes pour arriver jusqu'à nous, pour les lointaines galaxies cela se mesure en milliards d'années.
Lumière ET nuit . Inséparables.

La Nuit ? Nous dormons rêvons, nous courrons, nous combattons, nous fuyons, La Nuit ? . Notre epiphyse , ce « troisième oeil à l'inérieur de notre cerveau » , issu des mêmes cellules qui donnèrent naissance également à notre rétine, travaille . La Nuit ? Elle fabrique la mélatonine qui régie la grande horloge de notre sommeil.
« Et la nuit est immense. » Notre sommeil profond, nos rêves si hauts...
« J'aime le temps qui est passé, bon s'il a été bon, mauvais parce qu'il ne peut y revenir. »
Passé, futur présent, ce n'est pas une question d'échelle mais de rayonnement, de sprirales, de cycles,..une histoire ronde comme le monde.
Alors en lisant cette correspondance entre Paolo Sassone-Corsi et Erri de Luca j'ai pensé à Leopardi, au tendre Giacomo Leopardi.

« Toujours j'aimai cette hauteur déserte
Et cette haie qui du plus lointain horizon
Cache au regard une telle étendue.
Mais demeurant et contemplant j'invente
Des espaces interminables au-delà, de surhumains
Silences et une si profonde
Tranquillité que pour un peu se troublerait
Le coeur. Et percevant
Le vent qui passe dans ces feuilles – ce silence
Infini, je le vais comparant
A cette voix, et me souviens de l'éternel,
Des saisons qui sont mortes et de celle
Qui vit encor, de sa rumeur. Ainsi
Dans tant d'immensité ma pensée sombre,
Et m'abîmer m'est doux en cette mer.
Giacomo LEOPARDI, Canti.

«  Lune, que fais tu dans le ciel ? Dis le moi, que fais-tu, Lune Silencieuse » ?…
Giacomo, ...le tendre et si malheureux poète.
Et puis vision encore


« Pour avancer je tourne sur moi-même ... »
 
....«  Mais au dedans , plus de frontières !».. Jean TARDIEU. 


Depuis la nuit des temps, Passé et Avenir , Sciences et Poésie sont sœurs humaines. 
 

Lucrèce, Gaston Bachelard, Léopardi, Albert Jacquard, André Brahic, De Lucca, Hubert Reeves, Sassone-Corsi, ….

il n'y a pas que du hasard, peut être n'y a t il, pour commercer, que de très belles  rencontres.

 Paolo Sassone-Corsi, Emiliana Borrelli, Erri de Luca 






La nébuleuse à double hélice observée par le télescope spatial Spitzer serait la conséquence d'une déformation du champ magnétique au voisinage du coeur de la Voie Lactée  (Crédits : NASA/JPL-Caltech/UCLA)

 Astrid Shriqui Garain, lecture 09.2016.



  

jeudi 15 septembre 2016

mercredi 14 septembre 2016

Palette





Photographie Astrid Shriqui Garain  - © 09.2016, Etang de Vaux.



" Puis je courrai comme autrefois je courais,

A travers prés, champs et forêts;

Puis tu t'arrêteras comme un jour tu t'es arrêté,

Le plus tendre salut de la terre.

Puis on comptera nos pas

A travers le lointain et la proximité;


Puis l'on contera cette vie


Comme ayant été le rêve à jamais" 



Hannah Arendt , heureux celui qui n'a pas de patrie."Poèmes de pensée. "







mardi 13 septembre 2016

Le violon d'Ingres






Lunaa.22 , ©   Astrid Shriqui Garain 
crayon, mine de plomb  et numérisation  
09.2016
 
 
 Lorsque le soir respire à la fenêtre de l’orage
on dirait qu’un soupir vous entre dans l’âme.

La confidence d’un parfum peut être
ou bien le savoir d’une halte.

Et si par sa nuit, il vous vient le désir de l’entendre
c’est un portrait de femme qu’il vous tend.

Le lieu reste inconnu, mais le sourire si présent
qu’il passe dans sa rue comme le reflet d’une grâce
en un dernier mouvement.
 
 
 ©   Astrid Shriqui Garain , Violon d'Ingres, 03.2015

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Le linge






  La tête rouge, 2014 -  ©   Astrid Shriqui Garain 
crayon et numérisation 



J'ai étendu à la face du monde les lettres de mon linge,
c'est le lit d'un torrent glissant de mes pôles.

Il raconte comment l'amour d'un feu portait par des hommes
a pu effacer la mémoire de mon bleu.

Il ne commence par aucune lettre
et se termine par la première.

C'est un son comme un bloc qui glacerait
le silence des mondes.

Il ne reste que ce linge
et tu sais ce n'est pas toute l'image du monde.


©   Astrid Shriqui Garain ,  le linge, 09.2016