Pierre de lest de L'Aimable Grenot (1749), recouvertes d'organismes marins.
Teddy Seguin (Adramar) © MCC / DRASSM
Pour mesurer le poids qu’il convient de donner à leur vie, les hommes
ont eu l l'étrange idée d’inventer une balance sur laquelle ils déposent
certains poids.
La masse de leur vie, ainsi déposée sur ce plateau, ne s’exprime pas en
gramme, ni en kilo,. Non ce système maléfique leur indique un taux
qu’ils ont appelé : Réussite, nom qu’il donnèrent également à un jeu de
cartes, afin certainement d’exorciser le mauvais sort dont ils bénissent
parfois leurs coups.
Ils portent la valeur de ce taux sur un grand registre dont personne d’ailleurs, après eux, n’en fera de lecture.
C’est un taux qui relève uniquement du quant à soi.
Ce taux donne toute sa valeur à une vie toute bien pesée, mais il
n’existe que pour celui qui l’inscrira sur le registre….
Il se déclare et
se compare, mais ne se partage pas.
La question n’est pas de savoir pourquoi cette balance fut inventée.
Nous dirons qu’elle fut conçue pour faire contre poids à divers
angoisses qui naissent dès la naissance dans un cerveau, très simplement,... humain.
Il faut calmer le doute, la peur, rabaisser sa supposée médiocrité face à
celle de son prochain.
Il faut caresser son ego à contre sens de la
lame pour être sûr et certain que tout ce qui sera donné à la vie
justifiera ce que la vie donnera.. et vices et rien que vers soi.
L’équité réclame l’équilibre.
C’est sans doute également par soucis de sa propre justice que l’homme
forgea cette balance dans son cerveau grouillant d’humanité .
L’homme doit se rende justice…
Le jugement s’échappe de l’humain, sinon il resterait prisonnier de sa raison.
La réussite doit loger dans son écrin : un bonheur de satin. La
possession d’un tel joyau fait naître les envieux, à le tenir si fort
entre ses mains, l’homme parfois en devient très vilain.
La réussite
enlaidit parfois l’homo sapiens et écrase de toute sa place souvent ceux
qui croisent gentiment son chemin.
Mais examinons ces poids qu’il dépose avec impatience à chaque instant sur son plateau.
Quelle est la masse de sa vie ? Quel est ce taux qu’il nommera gloire,
exploit, grande conquête…. dans le meilleur des cas, ou bien… échec,
banqueroute… dans bien des cas.
Car il n’y a pas de demi mesure concernant cette chose là.
Il faut qu’elle soit totale. Pas d’autre choix.
Les poids sont à la mesure des hommes, juste à leur portée.
Ils ne dépassent jamais leur envergure.
Chacun ses poids. Chacun son taux. Chacun sa vie …et tout vient peut être de là.
Dans ce plateau, ils y mettront de tout et parfois de vraiment n’importe quoi.
Qui de l’or, qui des médailles, qui des hourras, qui des territoires,
des orgues, des titres, une lignée, des fortunes, des palais, un nom
gravé sur plaque ou un pavé, peut être un peu d’autorité, du respect,
une certaine élégance, de la puissance, de la hargne, des idées…mais ces dernières sont parfois un peu dangereuses. dangereux. Il faudrait parfois savoir y renoncer.
Mauvaises et donc fausses, elles abrègent très vite nombre d’éternités.
Ils sont peu nombreux ceux qui arrivent à stabiliser la balance.
Si peu, que pour finir, on n'en connaît aucun.
Il n’est pas facile de comprendre que le déséquilibre provient de son propre poids.
Lorsque ta vie est sur la balance , ami, elle a déjà le poids qu’elle a.
Et tous tes poids n’y feront rien.
Alors ils pèsent…., le pour, le contre, le moins et le mieux, le sans
doute et l’environ.
Ils perdent leur temps pendant que leur vie sur ce
plateau perd…
et de son goût et… de ce qui fait tout son poids.
C’est une balance de Penrose dessinée par Escher.
Le maléfice réside là : à bien peser ta vie, tu ne bouges pas.
Quel imbécile peut il inscrire sur son registre que sa vie fut réussie ?
Qu’ elle le fut ou pas, quel intérêt ce joli taux rapportera ? Que feras
tu de cette monnaie lorsque tu n’auras plus la force de chanter sur ta
route?
Alors pour donner à sa vie non pas un prix ou quelque taux, mais juste
le plaisir que vous deviez lui offrir, il convient de ne jamais la
peser, mais de l'aimer.
Emplissez là de choses qui ne feront jamais le poids à la caisse des
boutiquiers : un regard sans remord, un baiser sans regret, les pavés de
l’été, des premières fois, des cris, beaucoup de rires, un peu de
larmes, et des bras, des épaules, des sourires, de la sueur, des
murmures, du souffle, de l’attente, des courses, des derniers trains, de
très beaux matins, des inutiles, des futiles, des magiques, des
terribles, et toutes ces tonnes de choses imbéciles auxquelles on tient.
A si bien aimer toutes ces choses, ami, la vie, va.. elle te suivra !
Mieux que ton ombre, elle sera devant toi !
Peu importe le poids qu’elle aura, elle te remplira bien les bras.
Le registre ? laisse le à ceux qui ne savent que compter sur leurs doigts et cela de tout leur poids.
Astrid Shriqui Garain , "la balance de Pensrose", 03.2013