samedi 10 décembre 2016

Paris, F. 1959

photographie : Paris, 1959 © Saul Leiter

"« Je n'avais pas eu vraiment de mal à retrouver la trace de F. Un ami commun, résidant depuis peu à Lausanne, m'avait confié, lors d'un déjeuner foisonnant d'anecdotes et de souvenirs cocasses, que F. résidait à présent à Paris, près du Jardin du Luxembourg.
Cela faisait quinze ans que je n'avais pas revu F. . Quinze ans qu'Isle était morte. Quinze ans que la guerre avait pris fin.
Quinze ans juste un peu assez pour que le chagrin me démorde et que je puisse me remettre à marcher.
Je n'avais pas osé lui dire ce qu'elle m'avait confié. En avais-je le droit à présent ? Davantage qu'il y a quinze ans ? Le fait est que je n'aurai pas pris le risque de me retrouver en bas de son immeuble, si un événement ne m'y avait pas poussé. J'avais la lettre avec moi. Quinze ans également que je ne l'avais pas sortie de son enveloppe.
En sonnant à sa porte, je ne savais pas que nos vies, qui m'avaient toujours semblé fort éloignées, allaient s'enchevêtrer de telle façon que ,quelque années plus tard , je présenterais F. comme le plus fidèle ami qu'un homme puisse espérer.
Il est vrai qu'on imagine toujours ceux que l'on rencontre, les projetant dans l'espace réduit de nos désirs et de nos craintes, on devrait leur donner la liberté de notre surprendre, c'est là je crois où chacun peut de la plus véritable des façons se révéler. De là me vient, je crois, cette nostalgie constante de l'inconnu.
On ne devrait rien attendre, ni bonheur, ni félicité, ne connaissant pas leur visage, à quoi cela sert il de les guetter ?
Est- ce cette femme assise en face sur ce banc, est ce ce coup de téléphone, est-ce ce regard sur les marches du soir, ou cette main qui repose ce livre ?
Numéro 64. Le chapeau à la main, j'entrai. Cela sentait l'encaustique, et le plâtre mouillé.
La pluie avait cessé, la semaine était de novembre. Dans la rue, les lumières éclabousseraient encore quelques heures les pavés.
Le panneau référençant les locataires de l'immeuble m'indiqua l'étage. Je lus . Monsieur F. David. 4eme étage, porte G.
Il était dix huit heures lorsqu'à sa porte je me présentai. » 


 © Astrid Shriqui Garain - 12.2016

lecture sur photographie de Saul Leiter, Paris, 1959

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