vendredi 20 janvier 2017

Feuille froissée




"La feuille sommeil", ©   Astrid Shriqui Garain 


j'ai posé fontaine , froissé sommeil 

écorce plié mouchoir papier jeté dans une rivière de mots 

buvard miroir , feuilles trempées de mémoire 

linge comme une panse de pierre 

bribes, brindilles, un fil recoud ma langue en morceaux

ça papille sous ma couverture de peau. 


Astrid Shriqui Garain © feuille froissée

mercredi 18 janvier 2017

Nos linges



 "les linges" ,  ©  info- photographie, Astrid Shriqui Garain  



Nos linges

Écrire un corps
décrire , dés-écrire, réinscrire.
Penser mon corps .
Pensez, donc , un corps ! Mon corps,
Ce corps, cet alphabet
imaginez !
pensé comme pièce oubliée.
Un souvenir enfoui
emmuré.

Écrire pour soulever la dalle,
retourner la face, ouvrir un corps
emboîter sa langue.
Pavillon passe poitrail
écouter
mon corps ne se refuse pas à dire
il guette le silence qui lui plait.
Il sait parler. 
Se taire. Oublier. ...Effacer...
...Vous souriez.

Les siècles m'ont appris à patienter.

parle – ne te tais pas – reviens
écoute ma caresse
j'ai aimé
sans armure, sans pudeur
sans rien demander sans me projeter
sans même questionner
sans conceptualiser
sans évaluer , élaborer, sans juger
recevoir donner donner au-delà
par débordement , par peur de suffoquer
donner à respirer , prononcer chaque don
comme une lettre, une proposition, une remontée,
un rêve .

J'ai aimé – J'aime – J'aimerai.
Ma seule trinité.
mon corps se charge
il a vu,
tremblant brûlant il a vécu
fulgurance de joie
pulsion de chair , pulsation de lumière
donnant ballant volcan
versant renversant
Une vérité s'est déchirée
l’œil s'est ouvert
chaque membrane est un tambour
Aucun pardon juste un son
Ecoute son vertige
voyant, illes se donnent
un nom à refuser le pire
un rire pour un non
le pire c'est céder, plier, se taire
forcer ses lèvres au silence
oublier, effacer
non. j'ai aimé
leur non enchaînait mon nom
à tel force à tel point
que cela te faisait prendre peur,
te faisait prendre haine
à perdre haleine
parce que ce langage que j' exprime
ma jouissance ce râle que j'expulse
ce cri déchire tous les lois,
ce cri dehors d'un ventre
/ chair sang cri larme/
matière à jouir à penser phénoménal
c'est mon cri et c'est un cri de joie
Il arrache toutes les portes
c'est courant, frôlant,
Je nous aime
en pensant l'autre
mon égale
Je nous regarde
ni moitié ni tout
un être singulier, toi
un unique désirant,moi
baisant pensant caressant
autre en toi autre de moi
dire mon corps c'est écrire l'autre
parler de nos corps c'est dire l'entrejambe
de nos langues
bouche à lèvres
langue dans l'encre
mot à mot lire
le goût de la peau
Mon corps porte ses traces
nue, neutre,
ni terre ni ciel, à mots ouverts
peut être un peu de sable
un souffle, poussière ou terre
une fiction , une carte,
à chœur , aux poings,
par poignées de phrases
debout, hurlant
mon corps est une vague
Je peux laisser passer ses navires
j' inventerai une autre route
créer d' amour
vivre de jouir
tu es ma page
je suis un livre
c'est un non d'un même nom
ni tabou
ni légende
ni mât
ni pieu
ni caverne
ni totem,
je suis oiseau
cerne sous mes ils.
illes sous mes elles
Nous sommes oiseaux.

Je prends l'air.
entre la lumière et ma bouche 
il y a  cette empreinte
Une main et ses cinq lettres .
Chut…
Je pose mes mains sur tes mains
la neige transpire,  sur tes paupières
Elle trempe mes lèvres dans le ciel
Écoute...
Nos corps sont au soleil d'un repos.



Astrid Shriqui Garain  ©





vendredi 6 janvier 2017

Le silence même n'est plus à toi, Asli ERDOGAN , janvier 2017


" Dimanche, la neige a recouvert les magnolias, dont les fleurs s'ouvraient joyeusement, presque bruyamment. Elles se serraient entrelacées les unes contre les autres, comme apaisées de voir la " réalité" d'une vie, ou ses mensonges, dans laquelle elles se jetaient en riant, qu'elles chassaient passionnément."

p20.



" Talonnée par le souffle d'une créature maléfique prête à la curée, j'essaie désespéréent d'accélérer, comme si j'étais montée sur des échasses...J'essaie désespérement de me rendre invisible, de me fondre et de mévanouir dans l'obscurité palissante, de me mêler aux obres, à la pierre, à la terre, de m'enrouler dans un utime bout d'étoffe arraché aux lambeaux de la nuit...Comme su un inconnu était mort dans mes bras, je grelotte, tirée par une pesanteur insondable, prise dans une étreinte rigide, je grelotte comme il est inconcevable de grelotter par une nuit de juillet, qui sait depuis combien d'heures durent ces tremblements." p16.



 " Le soleil est déjà haut mais c'est comme si la couleur du sang reestait pendue à un crochet sur l'horizon. (Sur le pont les lynchages ont commencé). Davantage qu'un jour nouveau, il semble que la nuit continue et se prolonge... Venue d'un soleil plus lointain et plus froid, la lumière ne réchauffe ni ne console, elle ne promet rien aux vies qui ont été sauvées ou perdues. "
p18


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« Le silence même n'est plus à toi ». Écrire . Dire ? empêché, interdit , condamné, faussé, déformé, broyé, écrasé, pulvérisé….. alors : écrire. Ecrire.
« Me voilà aujourd'hui en prison pour avoir cru à des mots tels que vérité et paix. » écrivait Asli Erdogan depuis la prison de Bakirköy, où elle a été injustement incarcérée durant 136 jours par le pouvoir turc qui l'accuse, elle et sept autres prévenus de soutien déclaré au quotidien Özgür Gündem, réputé favorable à la rébellion kurde du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), d'avoir attenté « à l'intégrité de l'Etat » par ses chroniques.
Et ces chroniques, justement, les voici.
Écrire. Écrire de la nuit, écrire au delà des murs des toits, des grilles au-delà de soi.
Des mots , . Écrire, délivrer .
Ne pas avoir d'autre choix que celui de refuser de livrer ses paupières à la nuit, à l'oubli, au mensonge.
Dire au monde, aux pays, à la terre entière ce qu'il advient de l'homme lorsque ses crimes sont restent impunis.
Mettre le mot devant le miroir du coeur, dire crime lorsqu'il s'agit de crime, dire viol, meurtre, torture, génocide, fascisme, racisme, manipulation, oppression, mensonge, désinformation.
Dire ce qui fut vécu, ce que l'on vit, , dire les faits, dire leurs noms, leurs visages, leurs âges, dirent que des mères attendent des corps, dire l'arménien, la femme, la mère, la fille, les kurdes, dire Kobane, dire les camps, dire les complicités d'état, dire les prisons, dire les chenilles des chars, dire les coups, les arrestations, les corps carbonisés, dire la mort, les blessés.
Ecrire parce qu'elle ne veut pas avoir d'autre choix. Parce que se taire lui est totalement impossible. Au risque de perdre sa liberté, en risquant sa vie.
On ne peut pas dissocier la militante de l'écrivain. Les racines du combat d'Asli Ergodan plongent au coeur même de son âme et de sa chair. Révolte, résistance. C'est ce qui rend son écrit bouleversant, percutant, puissant.
Oui indissociable, la militante et l'écrivain. Je connaissais le combat de la militante, depuis quelques semaines je découvre sa plume. Et comme la main qui porte cette plume est belle et forte ! Elle plonge notre regard dans l'encre de nos vies.
Ce ne sont pas les lamentations nées dans un cri, c'est l'éclat d'un dit qui perce la nuit.
Elles sont là, les victimes, là, elles soulèvent, portent ces pages, elles pèsent dans le ventre de la nuit, elles marchent entre la terre et le silence.
Elle n'est pas seule. Asli Erdogan n'est pas seule. Ils sont des millions. Car c'est à eux que parole est donnée, aux sans voix, aux sans nom , à la « caravane des estropiés », Asli Erdogan les fait entrer dans le cercle ouvert de notre humanité.
Je suis éblouie par l'écriture d'Asli Erdogan. Pas aveuglée, non, éblouie.
Et ça en littérature c'est rare. Chaque siècle nous parle à des années lumière , Asli Erdogan, elle, nous parle en milliers d'années.
On ne peut pas après avoir lu ce livre, on ne peut plus entendre le monde de la même façon.
Ce n'est pas un témoignage. C'est plus que cela Ça vous parle du dedans, ça marche en dedans, depuis la nuit des temps.
« Si non seulement nos morts, mais aussi notre propre mort nous est confisquée...Si c'est davantage que nos seules petites vies individuelles qu'on accule dans les caves...Si l'on brûle, acculé, aspergé d'essence, tout de ce qui nous donne du sens, tout ce à quoi nous donnons le nom et le sens  de « vie »...Si l'on explose à l'arme lourde la voûte de nos rêves, si les salves de balles déchiquettent les mots formés par le sang des millénaires...Si nous ne sommes même plus capables de pousser ni d'entendre un seul cri...Si même ce silence n'est plus à nous ».
Une fulgurance.
Libérée sous conditionnelle depuis le 02 janvier 2017, sous contrôle judiciaire et sans autorisation de quitter le territoire, jusqu'à la prochaine audience, prévue le 14 mars 2017.
Asli Erdogan risque toujours la prison à perpétuité.
Astrid Shriqui Garain, lecture 01.2017

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«  Sobrement, personnellement , simplement : je ne veux pas être complice.Je ne veux pas être complice de ces rafales de balles qui s'abattent sur des femmes, des enfants, des vieillards essayant de s'extirper des décombres, cramponnés à un drapeau blanc. Je ne veux pas être complice de cette mâchoire entièrement brisée qui appartient à un enfant de douze ans retrouvé dans une cave. Ni de ce sac à gravats qu'on dépose en disant «  voici ton père », qu'on dépose en disant « voici ton enfant », « environ cinq kilos d'os et de chair »...Ni du sort atroce qu'on fait subir à une mère qui attend depuis des semaines devant un hôpital en se répétant « un bout d'os calmerait ma peine »...Je ne veux pas être complice de l'assassinat des hommes, ni de celui des mots, c'est à dire de la vérité ».






player emission spécial Turquie 05.01.2017, Heure bleue, Laure Adler. 

 https://www.franceinter.fr/embed/player/aod/dcb826e2-3139-4413-9f85-cc8b365d59b3
 
« Entre les salves automatiques et la fureur de la foule chauffée à blanc...Au beau milieu d'une guerre, plus vraie que réelle, mais dont la réalité n'évoque même pas celle d'un rêve, une guerre à laquelle je ne trouve aucun équivalent, comme au bout du bout du monde, dans ses confins les plus sauvages...Entre l'impossibilité de partir et celle de rester, je me suis repliée sur moi-même comme un point d'interrogation qui se tord le ventre. Entre la terre et la pierre, entre l'obscurité de la nuit et la noirceur des hommes ».


" Des fissures et des brèches colossales s'ouvrent dans la nuit, la réalité déborde d'elle-même comme les eaux d'un torrent déchaîné, s'éparpille au hasard comme une pluie de confetti."


 " Je suis dans l'un des angles morts du destin, un noeud formé de toutes ces routes qui n'en finissent plus de se chevaucher, sans lumière, sans issue et sans retour comme dans un cerceuil...Il n'y a plus de temps qui mène jusqu’au Présent, plus de temps qui file comme à travers le chas d'une aiguille, et plus personne pour en assurer l'étendue et la durée sur la base de l'instant...Plus rien désormais ici n'existe qui dissocierait les mots les uns des autres, tous dans la même pelote d'ombre, les mots comme leur négation s'écroulent puis se dispersent, rien ne sépare plus l'espoir du désespoir, avoir peur de ne pas avoir peur, être mort de ne pas être mort. "


" les histoires viendront ensuite, elles mettront l'interminable réalité - nuit, guerre - entre guillemets. Et cette histoire, ce montage nocturne, remplira la nuit qui se distend comme un immense filet déchiré, de nos mots et de nos corps , ainsi espérons-nous lui donner forme"






jeudi 5 janvier 2017

Portrait d'homme aux pastels


Astrid Shriqui Garain © portrait d'homme, 01.2017 -  Pastels secs 

tous mes remerciements au photographe Denis Rouvre pour  son admirable  série " Kanak"  dont je me suis inspirée pour réaliser ce portrait. 

Chants des labours

Champs de labour ©  Photographie de Ludovic Maillard - 2015 



Temps qui bourrasque à la tête qui ressac,
On puise fort en dedans l'ombre,
Le ciel se retourne ,
une voie grêle sa nuque de frissons.

Sillons, écorces, blessures d'encrage
la main verse le poids de sa terre
dans l’entrelacs de ses lignes,

la lune à peine et le bois qui tremblotte.
C'est là sève qui vient pleurer de son feu.

Tête bêche par dessus toits,
la nuit brume son éclat.
Son souvenir en coin, la lampe se met au repos,
ce soir, la chaise posera une laine sur son dos.


Astrid Shriqui Garain - ©  01.2017 

lundi 2 janvier 2017

Un tronc d'air





dessin extrait du film "Ressac"© de Simon Kohn, 2011.




 Il y a entre mes mains un bavardage d'oiseaux
qui martèle le ciel à coup de mots
Un grand tronc d'air qui sert de tambour
pour appeler tous mes gens d’alentour
des rames comme des ailes
avec au bout des manches
ces deux mains
l'une qui donne
l'autre qui demande
l'une qui donne le bon jour
et l'autre, celle qui se demande,
l'autre qui se demande à qui le prochain tour
Il y a entre mes bras comme les rêves d'un poisson- chat
qui sortent à l'oeil dans le tram du soleil
Une idée de chanson avec un air d'évasion
pour des terres et des terres
avec des mots comme le ciel
et des bonds comme l' oiseau
au bout d'une branche on accrocherait le bateau
qui suivrait le poisson danse
et puis des mains qui pousseraient son grand chariot.
Entre ces bras en fait c'est immense
il y a un bavardage d'oiseaux
qui martèle le ciel à coup de mots
pour qu'on fasse sortir un peu de ce soleil de nos chapeaux.


 Astrid Shriqui Garain -© un tronc d'air , 01.2017