mercredi 26 août 2020

"Je suis un monstre qui vous parle" Paul B. Preciado

 

 

EAN 978-2246825562 - juin 2020

 «  L'épistémologie de la différence sexuelle est en mutation ». 


17 novembre 2019. Trois mille cinq cent psychanalystes sont réunis à Paris à l'École de la cause freudienne pour le thème ...." Femmes en psychanalyse"... ( de quoi déjà s''interroger…)
Sur leur invitation, Paul B. Preciado prend la parole. du moins , le tente-t- il devant un public qui n'a pas souvent l'occasion se soumettre à la critique...
Évidement, l'accueil fut quelque peu glacial...On s'en se serait douté.
 

Ce texte reprend dans sa totalité ce qu'aurait du être l'intervention de Paul B. Preciado, ce dernier n'ayant pu lire qu'un quart du texte qu'il avait préparé. Cela donne une idée de l'ouverture d'esprit que peu exprimer, en réunion, un par terre "choisi" de psychanalystes. Oui par terre et mis totalement KO par ce texte brillant et combattant de Paul B ; Preciado.
 

Uranus : 01 - Par terre : 0.
 

Si la psychanalyse traque à travers désirs et interdits l'origine de nos douleurs psychiques, on oublie qu'il s'agit là d'un outil normatif, voir performatif. La psychanalyse n'est pas une science. C'est une traduction encodée, une projection, produite par un système patriarco-colonial, qui demain sera totalement dépassé. Les normes, les codes, les signifiants, les signifiés, les identités, la binarité volent en éclat devant la nouvelle planète qui se dessine à travers nous toutes et tous.
les choses changent, bougent, nous évoluions, nous révolutionnons.
 

Paul Preciado ne part pas au combat sans arme. Tel, Pierre le Rouge , le singe de Kafka, il a appris leur langage.
Il sait, et ce savoir l'autorise à prendre la parole, à s'exprimer lui même. Il n'est plus l'objet étudié, il est devenu le sujet maîtrisant. Il est auteur.
 

" Je suis le monstre qui vous parle. le monstre que vous avez construit avec vos discours et vos pratiques cliniques.Je suis le monstre qui se lève du divan et prend la parole, non pas en tant que patient, mais en tant que citoyen, en tant que votre égal monstrueux."
" Moi, en tant que corps trans, en tant que corps non binaire, à qui ni la médecine, ni le droit, ni la psychanalyse, ni la psychiatrie ne reconnaissent le droit de parler avec un savoir expert sur ma propre condition, ni la possibilité de produire un discours ou une forme de connaissance sur moi-même, j'ai appris, comme Pierre le Rouge, la langue de Freud et de Lacan, celle du patriarcat colonial, votre langue, et je suis là pour m'adresser à vous".
 

Les psychanalystes ont-ils eu peur d'un jugement dernier ? Ont- ils cru voir arriver l'heure du "Deus ex machina" ? Pourquoi ont ils eu si peur d'entendre la vérité?
" Femmes en psychanalyse"... et voilà Paul, (non Cézanne mais le philosophe) de continuer : " Il aurait plutôt fallu organiser une rencontre sur "les hommes blancs hétérosexuels et bourgeois en psychanalyse", car la plupart des textes et des pratiques tournent autour du pouvoir discursif et politique de ce type d'animal. Un animal nécropolitique que vous avez tendance à confondre avec "l'humain universel" et qui demeure, en tout cas jusqu'à présent, le sujet de l'énonciation centrale dans les discours et les institutions psychanalytiques de la modernité coloniale".
Discours d'un trans, d'un corps non-binaire, et avant tout : universel.
Colonisé-e-s du monde entier : debout et cassons nous ! Même combat.
Universalité atteinte oui, et d'une façon magistrale, comme la meilleure des corrections. 


Uranus : 02 - Par terre : 0. 


Il les prend de court et non de haut. Il leur ressemble, il est parmi eux. Même voix, même pilosité, même carrure, même genre, même pas, même prénom...
Alors que reste-t- il à la psychanalyse pur tenter de s'accrocher ?
Devinez. ...9 cm suffiront-ils à étayer ce joli mât de cocagne dressé ?
« Le cirque du régime binaire hétéro-patriarcal » n'a que trop duré.
Le monde change. Tout est mouvement perpétuellement.
Les lois que nous croyions acquises et solidement fondées au Moyen -âge se sont effondrées. La réalité de l'univers a évolué, s'est élargi.
Universalité, voici la clé.
« Être marqué d'une identité signifie simplement ne pas avoir le pouvoir de nommer sa position identitaire comme étant universelle ».
L'assemblée craignait elle de se dissoudre ?… de se confondre… d'être confondue ?…
Le philosophe poursuit :
«  La psychanalyse est un ethnocentrisme qui ne reconnaît pas sa position politiquement située. »
Autrement dit, elle ne reconnaît pas être le garde barrière d'un système politique institué subjectivement par une minorité possédant le pouvoir et désirant le garder.
Toute entité qui remettrait en cause l'équilibre et la légitimité de ce pouvoir se voit ….« diagnostiqué ».
Paul B. Preciado, abolissant la peur, rejetant les pré-supposés, s'est échappé, il a sauté la barrière. Il s'est décolonisé, désidentifié, débinarisé.
Le chemin est solitaire, difficile, courageux, mais son voyage est joyeux et généreux.
«  Ce n'est pas la transsexualité qui est effrayante et dangereuse, mais le régime de la différence sexuelle. »
«  Quand vous aurez coupé tous les arbres et percé toutes les montagnes, quand vous aurez analysé tous nos rêves, vous ne pourrez plus rien défoncer d'autre.La Terre sera alors une décharge, un énorme corps trans démembré et dévoré. Les corps des colonisateurs et vos corps à vous, chers psychanalystes, seront enterrés avec les organes trans que vous nous avez pris. Mais les organes que nous n'avions pas ne pourront jamais être enterrés. Nos organes utopiques vivrons éternellement. Ils seront les guerriers des frontières ». 


Uranus : 03 - Par terre : 0.
Universalité. 


« la personne trans n'imite rien, de même que le crocodile n'imite pas le tronc d'arbre, ni le caméléon les couleurs du monde. Être trans, c'est cesser d'être un crocodile et se connecter avec son avenir végétal, comprendre que l'arc-en-ciel peut devenir une peau ». 


Uranus : 04 - Par terre : 0.
L'Univers est toujours en tête !


Et le philosophe n'exclut personne : « Vivre au-delà de la loi patriarcale coloniale, vivre en dehors de la violence sexuelle et du genre est un droit que tout corps vivant, même un psychanalyste, devrait avoir avoir. »
Psychanalystes, libérez-vous !
Pourquoi n'ont-ils pas saisi cette main tendue ? 


« En portant la faute sur Oedipe et en mettant tout le poids de l'analyse sur son supposé «  désir incestueux » Freud et la psychanalyse ont contribué à la stabilité de la domination masculine, en rendant la victime responsable du viol et en transformant en loi psychique les rituels sociaux de normalisation du genre, de violence sexuelle et d'abus des enfants et des femmes qui fondent la culture patriarco-coloniale ». 


Production/reproduction voilà les deux neurones qui activent la machine thérapeutique vouée à la normalisation des positions d' « homme » et de « femme » et « leurs identifications sexuelles et coloniales dominantes et déviantes ».
Une machine, qui a « fait avec les minorités sexuelles au cours des deux derniers siècles » « un processus comparable d'extermination institutionnelle et politique » .
Cela suffit. Trop de violence, de haine, trop de morts à travers le monde.
« La psychanalyse doit devenir une technologie d'invention des subjectivités dissidentes face à la norme ».
Elle doit être une aide, elle doit descendre des miradors qu'un système politique leur a assigné.
« Votre obligation politique est de prendre soin des enfants, non de légitimer la violence du régime patriarco-colonial ».
« Vous êtes libres de me croire ou de ne pas me croire, mais croyez au moins ceci : la vie est mutation et multiplicité. Vous devez comprendre que les futurs monstres sont aussi vos enfants et vos petits-enfants ». 


Paul B. Preciadio, je vous adresse un immense bravo et un grand merci !
Et c'est avec une immense impatience que j'attends la parution de son prochain ouvrage : « La République des métèques » !

Pour écouter Paul B. Preciado : https://soundcloud.com/nouvelles-ecoutes/la-poudre-episode-79-paul-b-preciado

Astrid Shriqui Garain – 08 .2020

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